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Mediapart
Une série de suicides secoue le quartier des mineurs de la prison de Villepinte
#prison #mineurs #MNA #Villepinte
Article mis en ligne le 27 décembre 2023
dernière modification le 25 décembre 2023

Quatre tentatives de suicide ont eu lieu en quelques jours en octobre dans l’établissement, et un jeune en est décédé. Des agents de la protection judiciaire de la jeunesse ont cessé le travail collectivement. Ils critiquent les multiples difficultés qu’ils rencontrent pour mener des mesures éducatives.

(...) En novembre, toute l’équipe éducative intervenant auprès des mineurs s’est mise en arrêt de travail, heurtée par cette vague de suicides et le traitement des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui interviennent au contact des jeunes détenus à Villepinte.

« Le point central de notre mouvement est l’existence de l’accompagnement éducatif au sein de la détention, explique Maria Laxalte, co-secrétaire du syndicat SNPES-PJJ (membre de la FSU) d’Île-de-France. Les marges de manœuvre dans la maison d’arrêt sont très limitées car c’est toujours le sécuritaire qui prime. Les éducateurs sont soumis à l’organisation et à la politique de la maison d’arrêt. » (...)

La prise en charge des mineurs en prison est assurée « en binôme par les surveillants et les professionnels de la PJJ », veut rassurer le ministère de la justice, questionné par Mediapart sur cette vague suicidaire. Ce binôme contribuerait à une « continuité de la prise en charge individuelle du mineur, entre vie quotidienne en détention, maintien des liens familiaux et préparation d’un projet de sortie », assure le ministère.

Le jeune Mustapha, adolescent marocain de 16 ans, seul sur le territoire français mais encore non reconnu officiellement comme mineur non accompagné par les services départementaux, s’est pendu dans sa cellule un jour seulement après son incarcération, dans le cadre d’une détention préventive en vue de son procès prévu pour janvier 2024. Il avait déjà fréquenté, quelques semaines plus tôt, le quartier mineur de Villepinte.

« Quand il est ressorti de sa première incarcération, il n’était pas dans le même état, il était en état de choc », décrit Fatiha Kettab, présidente de SOS Migrants mineurs, qui œuvre auprès des jeunes Marocains migrants du quartier de la Goutte d’Or, à Paris. Lorsque l’enfant est arrivé au centre hospitalier de Gonesse (Val-d’Oise) dans un état médical grave après son passage à l’acte, la bénévole a été missionnée pour rechercher sa mère résidant au Maroc.

« Il était fragile sur le plan psychiatrique, en errance, souligne-t-elle. Nous cherchons à savoir maintenant de quel suivi il a bénéficié en prison, si le risque suicidaire a été évalué. » Une enquête a été ouverte par le parquet de Bobigny – c’est la procédure pour les suicides en prison –, confiée à la brigade des mineurs de Paris.

L’isolement et le risque suicidaire (...)

Les mineurs détenus sont d’emblée considérés « comme une population particulièrement vulnérable », selon le rapport sur les effets de l’enfermement rédigé par la sociologue Alice Simon et remis en octobre dernier à la direction de la PJJ. L’incarcération fait en effet peser « d’importants risques psycho-sociaux sur les mineurs, en raison notamment de l’encellulement très important et de l’isolement qui y est associé, mais aussi de la séparation des mineurs avec leur famille, ou encore du climat parfois hostile qui prévaut entre les jeunes détenus ».

En 2021, selon ce rapport, 305 fiches d’incidents ont ainsi été transmises à la direction de la PJJ à propos de mineur·es en prison : 147 concernent des « tentatives de suicide » (...)

« La superposition des différents outils disciplinaires aboutit régulièrement à l’isolement quasi total des détenus punis ». Alice Simon, sociologue (...)

La période Covid aurait également amené l’administration à faire « cesser les actions collectives et à restreindre l’accompagnement éducatif ». « Le fonctionnement de l’unité éducative n’a jamais pu revenir complètement à la situation avant Covid et l’administration pénitentiaire semble s’être rigidifiée davantage dans son fonctionnement », dénonce le syndicat. Ainsi, depuis un an, les professionnels de la PJJ notent une orientation des jeunes détenus vers « le quartier disciplinaire assez systématisée ». (...)

« C’est très grave d’emprisonner des mineurs sans éducatif autour d’eux. » (...)

« Après les suicides, l’ordre a été donné d’aller au gymnase, mais une fois au gymnase, pas de ballon. Tout est comme ça. » (...)

La protection judiciaire de la jeunesse a également financé une bibliothèque au sein de la prison. « Mais pendant des mois, les jeunes n’ont pas pu y avoir accès. En raison de ce drame, l’accès s’est débloqué », souligne Maria Laxalte.

L’état et la prise en charge des jeunes détenus font également partie du problème, notamment pour les mineurs non accompagnés, très abîmés par leur parcours migratoire, leurs conditions de vie et des addictions multiples. (...)

Sans attaches familiales, ils sont aussi davantage visés par les mesures de « désencombrement » – des transferts vers d’autres établissements pour réduire le taux d’occupation –, coupant le seul lien qu’ils ont parfois : celui qu’ils ont créé avec un éducateur. (...)

« On a demandé à mes collègues [après les suicides] de se “mettre en mouvement” plutôt que de prendre le temps de la réflexion, regrette Clémentine Petit. Mais le travail éducatif, ce n’est pas d’être des animateurs, c’est de faire des choses qui ont du sens et pas simplement de l’occupationnel. »

La responsable syndicale déplore aussi « une forme de culpabilisation de l’équipe éducative par la PJJ ». Sans que soient prises en compte, voire comprises « toutes les entraves de l’administration pénitentiaire ».