
Alors que des centaines de soldats franco-israéliens sont potentiellement impliqués dans les crimes commis à Gaza, une série d’organisations de défense des droits humains ont déposé ce mardi 17 décembre, à Paris, une demande d’ouverture d’enquête contre l’un d’eux, Yoel O. Avec de nombreuses preuves à l’appui.
Nous publions ci-dessous un entretien avec Clémence Bectarte, avocate au Barreau de Paris, qui coordonne le groupe d’action judiciaire (GAJ) de la La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).
La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres palestiniennes et françaises Al-Haq, Al Mezan, Palestinian Centre for Human Rights (PCHR) et la Ligue des droits de l’homme (LDH) ont déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris à l’encontre de Yoel O., soldat franco-israélien qui a servi à Gaza dans le cadre de la campagne génocidaire menée par Israël contre les Palestinien.nes. Ce dernier est accusé de crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide, torture et complicité de ces crimes commis contre des Palestinien.nes détenus en Israël.
Sarra Grira.— Quelle est la signification de cette plainte ?
Clémence Bectarte.– Il faut souligner que c’est une plainte portée par des organisations palestiniennes. Celles-ci ont concentré leur travail depuis des années devant la Cour pénale internationale (CPI) en alimentant le bureau du procureur, bien avant, d’ailleurs, le 7 octobre 2023, sur tous les crimes liés à la colonisation israélienne, à l’apartheid et à de précédentes opérations militaires de l’armée israélienne sur Gaza. Cela a contribué à l’ouverture d’une enquête et à l’émission de deux mandats d’arrêt le 21 novembre 2024.
Mais les crimes commis sont d’une telle ampleur que la CPI seule ne suffira pas. Il n’y a bien évidemment aucune action possible devant la justice israélienne. Ce refus a été documenté à de nombreuses reprises et toutes les tentatives qui ont été faites par des victimes palestiniennes pour obtenir justice se sont heurtées à une impunité totale en Israël. L’activation de la justice qu’on appelle extraterritoriale, représente donc un levier essentiel. (...)
Nous savons que le nombre de soldats franco-israélien combattant dans l’armée israélienne dans cette opération militaire à Gaza est important, même si nous n’avons pas de chiffres précis.
Nous devons donc renvoyer chacun de ces États, lorsqu’ils sont compétents, à leur responsabilité. Il faut qu’ils prennent sa part à la lutte contre l’impunité et répondent à l’aspiration à la justice. C’est aussi ce message-là que nous voulons adresser à la justice et aux autorités françaises à travers le dépôt de cette plainte. Notre action s’inscrit dans un cadre plus vaste comme le souhaitent les organisations palestiniennes. Elles travaillent à saisir des justices européennes et au-delà pour, à chaque fois que cela est possible, des enquêtes soient ouvertes qui visent à qualifier les crimes, et à nommer, voire sanctionner les responsables. (...)
Nous avons vraiment voulu concentrer cette plainte sur la torture, la persécution en tant que crime contre l’humanité. Ce que l’on voit dans la vidéo [voir ci-dessus] que nous présentons, ce sont des exactions de l’armée israélienne, et notamment la responsabilité du soldat franco-israélien contre lequel nous déposons cette plainte. C’était vraiment important de mettre l’accent sur le crime de torture et à son recours massif et généralisé.
C’est un aspect des crimes de l’armée israélienne qui n’est pour l’instant pas couvert dans le champ des mandats d’arrêt de la CPI à l’encontre de Benyamin Nétanyahou et de Yoav Galant. Or, selon toutes les organisations qui travaillent sur le terrain, c’est un aspect important des crimes israéliens qu’il faut judiciariser, et sur lequel nous voulons déclencher des enquêtes. Les Palestiniens de Gaza sont arrêtés et torturés de la manière la plus brutale qui soit, en toute impunité. (...)
L’impossibilité pour les ONG internationales de pouvoir enquêter et recueillir ces témoignages est un obstacle majeur mis en place par les autorités israéliennes. Mais, malgré cette interdiction, nous pouvons compter sur les organisations palestiniennes qui, dans des conditions extrêmement difficiles, continuent à faire un travail essentiel de documentation. Il y a aussi un certain nombre d’agences onusiennes, la CIJ, la CPI à travers l’émission des mandats d’arrêt, et des ONG internationales qui continuent de rassembler les preuves des exactions de l’armée israélienne pour les qualifier, pour les documenter et pour qu’elles servent aussi à des procédures judiciaires.
L’enjeu n’est pas seulement de dénoncer la réalité des crimes, mais aussi de se battre contre l’impunité dont on sait qu’elle est l’une des raisons, l’une des racines de la violence de cette guerre actuelle. (...)