
Le génocide des Juifs et des Tsiganes a été précédé au début du 20è siècle, non seulement par celui des Arméniens de l’empire ottoman, mais par celui des Hereros et des Namas, deux peuples africains colonisés par l’Allemagne. Leur écrasement fut impitoyable, Berlin mettant des décennies à se dire responsable.
(...) il y eut parmi les Hereros, selon les estimations, jusqu’à 65.000 morts (environ 80% de ce peuple), et parmi les Namas au moins 10.000 (50%). Ce sont des proportions énormes. Rappelons que c’est l’intention, non le nombre des victimes, qui établit un génocide.
Comment se fait-il que l’Allemagne ait mis si longtemps à le reconnaître, alors que ces crimes étaient publiquement assumés, qu’il n’y avait dans ce cas-là aucun doute sur la volonté d’exterminer ? La question se pose d’autant plus à l’heure où beaucoup attendent que Paris admette enfin sa responsabilité dans les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, dans le "département de Constantine", lors desquels l’armée française, aidée par des colons, a violemment réprimé les Algériens qui réclamaient la liberté, le 8 mai 1945.
Une cruauté inouïe
il y eut parmi les Hereros, selon les estimations, jusqu’à 65.000 morts (environ 80% de ce peuple), et parmi les Namas au moins 10.000 (50%). Ce sont des proportions énormes. Rappelons que c’est l’intention, non le nombre des victimes, qui établit un génocide.
Comment se fait-il que l’Allemagne ait mis si longtemps à le reconnaître, alors que ces crimes étaient publiquement assumés, qu’il n’y avait dans ce cas-là aucun doute sur la volonté d’exterminer ? La question se pose d’autant plus à l’heure où beaucoup attendent que Paris admette enfin sa responsabilité dans les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, dans le "département de Constantine", lors desquels l’armée française, aidée par des colons, a violemment réprimé les Algériens qui réclamaient la liberté, le 8 mai 1945.
Une cruauté inouïe
Le traitement autorisé depuis Berlin fut d’une cruauté inouïe. Il a été documenté en 1918 par le Blue Book (Livre Bleu) britannique, réimprimé un siècle plus tard, un recueil certes à visée propagandiste - la France et la Grande-Bretagne étant ennemies de l’Allemagne durant la Première Guerre mondiale - mais considéré comme une source fiable grâce à des témoignages de première main.
Les causes des révoltes sont multiples : sécheresse, peste bovine venue d’Afrique du Sud qui a affecté les troupeaux des Hereros, voracité et racisme des colons allemands qui s’étaient approprié les meilleures terres. Sans compter les fréquents meurtres et viols commis par les Blancs envers qui la justice coloniale se montrait extrêmement indulgente, le droit de fouetter les « coupables » noirs à coups de lattes ou de fouet en peau de rhinocéros, jusqu’au sang et souvent jusqu’à ce que mort s’ensuive (« Un steak cru et haché n’est rien, à côté », constatait un employé colonial allemand).
Ces châtiments barbares étaient justifiés avec l’argument que les Noirs ne comprendraient que l’extrême violence. Il faut dire qu’à l’époque les punitions corporelles, beaucoup moins meurtrières que dans les colonies, étaient non seulement légales dans la sphère germanique comme ailleurs dans le monde industrialisé, mais tout à fait admises à l’école aussi bien qu’à la maison.
Les dirigeants des insurrections étaient, chez les Hereros, Samuel Maharero (1856-1923), un ancien séminariste déchu de ses droits de chef coutumier parce qu’il était baptisé. Et du côté des Namas, jadis appelés « Hottentots », Henrik Witbooi (1830-1905), un leader charismatique qui fut instituteur. (...)
D’abord rivaux, les deux hommes ont fini par se dresser l’un comme l’autre contre les colonisateurs.
C’est l’exigence de l’administration allemande d’enregistrer les armes en possession des « indigènes » qui a précipité la rébellion. (...)
Au départ, dans le cas des Hereros, 8.000 guerriers faisaient face à quelque 2.000 soldats chargés de garder la colonie. Mais Maharero avait sous-estimé la capacité de Berlin à mobiliser son infanterie de marine basée en Afrique australe. Les Hereros doivent rapidement affronter 15.000 hommes équipés d’armes lourdes. Les insurgés sont défaits, chassés dans le désert de sable du Kalahari, affamés, laissés sans eau. Les Allemands ont empoisonné les puits, tirant sans distinction d’âge ou de sexe sur les civils. La répression s’est poursuivie à l’est bien après que l’empereur eut accordé son pardon : il y eut de nombreuses pendaisons parmi ceux qui n’étaient pas morts de faim et de soif.
Avec 1.500 partisans Maharero a pu se réfugier dans la colonie britannique voisine, l’actuel Botswana, abandonnant le reste de la population à son sort. On estime que 20.000 personnes ont pu survivre. 11.000 d’entre elles, terrorisées, furent ensuite parquées dans des camps de concentration souvent construits par des missionnaires, forcées à travailler, exploitées pour des expérimentations médicales.
"La nation en tant que telle doit être anéantie"
Les protestations en Allemagne furent limitées, pour l’essentiel aux missions chrétiennes parties évangéliser les "animistes". Les photos attestant les faits étaient rares, et la conviction que l’Europe devait apporter le progrès à des "primitifs", au besoin par la force, très répandue. (...)
Von Trotha est devenu tristement célèbre par sa proclamation publique du 2 octobre 1904, connue comme « ordre d’extermination ». En réplique à des attaques et mutilations - nez, oreilles et parties génitales tranchés - infligées à des colons, il annonce que dorénavant « à l’intérieur des frontières allemandes, chaque Herero, avec ou sans armes, avec ou sans bétail, sera abattu », sans exception des femmes et des enfants – alors que Maharero avait demandé à ses guerriers de les épargner ainsi que les Anglais, autres étrangers et missionnaires, la violence ciblant colons et militaires allemands de sexe masculin.
Dans un communiqué à ses soldats, le général promettait une récompense pécuniaire à qui ferait prisonniers les chefs de l’insurrection et précisait que tirer sur des femmes et des enfants, en qui il voyait un risque sanitaire pour les militaires venus d’Europe et une charge s’il leur fallait les nourrir, était nécessaire afin de « les contraindre à la fuite ».
Pourquoi avoir tant tardé ? (...)
il a fallu attendre 2015 pour que le ministère des affaires étrangères de Berlin présente des excuses pour le génocide des Hereros et des Namas. En 2004 des membres de la famille von Trotha ont invité à titre privé en Allemagne un descendant de Samuel Maharero.
L’un des points d’achoppement des négociations entre Berlin et Windhoek, la capitale de la Namibie, était de savoir si l’ancienne puissance coloniale était tenue de verser des réparations financières. En 2021 l’Allemagne a accepté, au nom du génocide qu’elle avait commis au début du siècle précédent, de faire "un geste" envers le pays africain - non de payer formellement une compensation - à hauteur de 1,1 milliard d’euros afin d’y construire des infrastructures : elle avait déjà selon elle beaucoup aidé son ex-colonie. Les descendants des victimes, très souvent marginalisés économiquement et socialement, se plaignent qu’ils n’en tireront pas vraiment profit.
Sujet sensible également, les expérimentations médicales menées auprès des survivants du génocide autant que la fausse science jadis élaborée à Berlin à partir de crânes et autres restes humains, redécouverts dans les collections de l’Institut Humboldt puis restitués par l’Allemagne en 2018.
Pourquoi cela a-t-il tant duré, quand l’intention d’exterminer était exprimée d’emblée au plus haut niveau ? (...)
Des crimes si manifestes n’ont jamais été, à la différence de l’Algérie jusqu’à aujourd’hui pour la France, un enjeu majeur de politique intérieure. Il n’y avait pas de groupe de pression assez puissant.
À cette réalité s’ajoute l’indépendance très tardive - 1990 - de la Namibie, jusque là un territoire administré par l’Afrique du Sud de l’apartheid. Et les lenteurs de la reconnaissance du crime de génocide, notion forgée en 1944 par le juriste Raphael Lemkin, né dans une famille durement éprouvée par la Shoah. (...)
Nous sommes loin d’en avoir fini avec la notion de génocide, ce qui se passe à Gaza depuis le 7 octobre 2023 méritant ce terme si lourd, moralement et juridiquement.
N’oublions pas pour autant celui qui a été commis par l’Allemagne coloniale, même s’il a été éclipsé au 20ème siècle par la destruction des Juifs sous le nazisme, le génocide arménien, puis ceux de Srebrenica et du Rwanda.