
Agnès Tricoire, avocate spécialiste de la propriété intellectuelle et présidente de l’Observatoire de la liberté de création, expose les dangers que ferait peser, dans les champs artistique et culturel, une conquête du pouvoir par l’extrême droite en France.
Pour défendre la liberté de création, l’un des droits culturels les plus cruciaux, a été fondé en 2003 l’Observatoire de la liberté de création. Il réunit, autour d’un « Manifeste », quinze organisations, au premier rang desquelles la Ligue des droits de l’homme.
Si la liberté d’expression a été consacrée dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, on ne trouve pas la moindre référence aux œuvres ou à l’art dans ce texte fondateur. D’où l’action culturelle et politique menée par l’Observatoire depuis plus de vingt ans.
Sa déléguée, l’avocate Agnès Tricoire, est l’autrice d’un Petit Traité de la liberté de création. Elle précise, dans un entretien pour notre partenaire La Lettre du musicien, les périls que ferait courir en la matière un postfascisme aux commandes.
Agnès Tricoire : On peut craindre un très important durcissement des dispositifs de censure des œuvres. La Convention européenne des droits de l’homme à laquelle la France doit se conformer représente une protection. Mais le Rassemblement national a maintes fois exprimé son souhait de quitter les traités européens et Jordan Bardella a annoncé plus récemment vouloir les renégocier.
Si la France sort de ce socle commun, qui garantit aujourd’hui, entre autres, la liberté d’expression et encadre ses limites à travers l’article 10, ce sera une catastrophe pour la liberté de création, de diffusion et de programmation.
Au printemps 2023, l’extrême droite menait campagne contre un tableau exposé au Palais de Tokyo à Paris : « Fuck Abstraction ! », œuvre de Miriam Cahn représentant une personne aux mains liées, contrainte à une fellation par un homme dominateur sans visage (...)
Leur ligne est déjà connue : privilégier le patrimoine sur le spectacle vivant, nourrir une grande méfiance à l’égard de l’art contemporain…
Nous appelons donc clairement à l’union de toutes les forces progressistes pour éviter l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir. (...)
Avant même la création de l’Observatoire de la liberté de création (2003), nous constations une montée en puissance des actes de censure émanant de l’extrême droite : des expositions censurées, des œuvres vandalisées par les élus eux-mêmes comme à Toulon, la menace d’annuler des concerts dans des lieux de culte où la sécurité du public et des artistes est menacée par des groupes qui considèrent leur présence comme blasphématoire (bien qu’il n’existe pas de délit de blasphème en France).
Nous nous opposons à eux et nous arrivons à la contenir. Qu’en sera-t-il demain (...)
Pour autant, il ne s’agit pas d’appliquer le droit de création et de diffusion de manière aveugle. Au sein de l’Observatoire, nous avons par exemple considéré que le court roman graphique diffusé par Valeurs actuelles mettant Danièle Obono en images sous les traits d’une esclave était explicitement raciste et que le journal ne pouvait pas se cacher derrière l’excuse de la liberté de création. (...)