
Les politiques sont-ils au-dessus des lois ? Se prétendre présidentiable vaut-il immunité ? Ces questions sont à nouveau posées depuis les réquisitions du parquet dans l’affaire des assistants parlementaires du FN payés par le Parlement européen. Les procureurs Louise Neyton et Nicolas Barret ont requis contre Marine Le Pen une peine de cinq ans de prison dont deux ans ferme, aménageable avec un bracelet électronique, 300 000 euros d’amende, et cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Cette dernière peine s’appliquerait donc immédiatement, même en cas d’appel.
Précisons qu’en vertu d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel établie à trois reprises (1), qui ne vaut pas pour les élus locaux – municipaux, départementaux ou régionaux –, un député ou un sénateur frappé d’une inéligibilité exécutoire peut conserver son mandat jusqu’au jugement définitif. Celle-ci lui interdit toutefois de briguer un nouveau mandat local ou national. En l’espèce, si le tribunal suit les réquisitions du parquet, Marine Le Pen ne pourra pas se présenter à la présidentielle de 2027.
Cet empêchement suscite un tollé dans les rangs de l’extrême droite. Sans surprise. (...)
Rappelons contre tous ces contempteurs habituels d’un soi-disant laxisme judiciaire, qui exigent des magistrats des peines toujours plus sévères, voire automatiques – c’est le cas des peines plancher –, que les réquisitions du parquet ne sont que l’application des lois voulues et votées par les représentants du peuple à l’issue de l’examen d’un dossier qui n’était pas « vide », comme le prétend Sébastien Chenu. Au contraire.
Le procès, avec les auditions des 25 prévenus au cours de 16 après-midi de confrontations, a grandement conforté les charges retenues par l’instruction.
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Un « système » dominé par Marine Le Pen
Le procès, avec les auditions des 25 prévenus au cours de 16 après-midi de confrontations (lire nos compte-rendus), a grandement conforté les charges retenues par l’instruction. Oui, il existait bien un système centralisé, piloté par la direction du parti, pensé pour faire des économies sur les finances du parti à l’aide du Parlement européen par une recherche permanente et systématique de transferts de charges.
Dans ce système, le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just avait un rôle primordial, mais la décision et l’arbitrage revenait à Marine Le Pen, comme auparavant à son père. (...)
D’autant que l’enjeu partisan de ce détournement pouvait, accuse Louise Neyton, se « doubler d’un intérêt personnel direct pour les principaux concernés en finançant un train de vie confortable aux proches et amis de la famille Le Pen », lesquels percevaient des rémunérations nettement supérieures au salaire médian. C’est un aspect du dossier ignoré de la plupart des commentaires. (...)
En requérant l’inéligibilité des prévenus, le parquet n’a fait qu’appliquer la loi à la lettre.
Une « mauvaise idée » ?
Alain Duhamel, le doyen des éditorialistes de BFMTV, veut bien admettre l’inéligibilité mais dans un jugement définitif, après l’appel et la cassation. « Dans deux ans », au mieux, selon lui. Mais son exécution provisoire, a-t-il professé, est « une très mauvaise idée » dont « personne ne pourra penser qu’elle est équitable ».
Il faudrait donc attendre encore alors que les prévenus ont déjà usé de toutes sortes de manœuvres dilatoires – refus de convocation, 45 recours dans la procédure, y compris sur des points de droit déjà tranchés –, pour repousser leur comparution et ont déjà fait part de leur intention, quel que soit la qualité du jugement d’interjeter appel et de se pourvoir ensuite en cassation, pour renvoyer la décision de justice et son exécution aux calendes grecques.
Alors que les détournements de fonds publics sont graves et établis, déjà anciens du fait des prévenus eux-mêmes, un report de la sanction ne manquera pas d’être perçu comme une faiblesse de la justice à l’endroit de la délinquance en costume cravate. (...)
Il fut un temps où les lepénistes tonnaient contre une telle impunité. Sur France 2, le 9 février 2004, à une époque où le FN prétendait être le seul à ne pas avoir « piqué de l’argent dans la caisse », Marine Le Pen s’insurgeait contre les détournements de fonds par les élus : « Les Français en ont marre qu’il y ait des affaires, ils en ont marre de voir des élus qui détournent de l’argent, c’est scandaleux ! » (...)