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Un policier lanceur d’alerte dénonce sur franceinfo la maltraitance et le racisme dans les cellules du tribunal de Paris + enquête de StreetPress
Article mis en ligne le 28 juillet 2020

« Elle criait au micro : “Debout les bougnoules et les négros, c’est fini de dormir.” »
Un policier révèle des centaines de cas de maltraitance et de racisme dans les cellules du tribunal de Paris

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Un brigadier-chef lanceur d’alerte et plusieurs centaines de documents internes permettent à StreetPress de révéler un système de maltraitance raciste dans les cellules du tribunal de Paris.

Au total près de 200 fonctionnaires de police sont chargés de surveiller jour et nuit les 120 cellules. C’est dans ce sous-sol aseptisé, mais aussi précédemment dans celui insalubre de l’ancien tribunal qu’une vingtaine de fonctionnaires en poste la nuit ont fait régner la terreur pendant plus de deux ans.
Système de maltraitance au dépôt

À partir du témoignage d’un lanceur d’alerte, le brigadier-chef Amar Benmohamed (Officier de police judiciaire – OPJ), de nombreuses sources, mais aussi grâce à plusieurs centaines de documents internes (rapports, mails, notes…) StreetPress lève le voile sur des faits d’une ampleur inédite, commis au coeur même de l’institution judiciaire française : dans les cellules du dépôt plus d’un millier de personnes ont subi de la part de policiers, humiliations, insultes souvent racistes ou homophobes, privations de nourritures ou d’eau, refus de soins médicaux… Certains des fonctionnaires mis en cause auraient également, à plusieurs reprises, profité des transferts vers les prisons pour voler des liquidités ou du petit matériel informatique à des retenus choisis parce qu’ils ne parlaient pas français.

« Au total, sur un peu plus de deux ans, plus de mille prévenus ont été maltraités. C’est même sans doute plus », dénonce le brigadier-chef Benmohamed, qui est délégué syndical chez Unité SGP-Police. Pour Arié Alimi, avocat du lanceur d’alerte, « les faits dénoncés, d’une gravité sans précédent, révélant un système délictuel et d’impunités à l’égard de leurs auteurs, entachent d’indignité toute la justice pénale du TGI ainsi que les décisions qui y sont rendues. » (...)

Notre enquête ne s’arrête pas là. Dans ce sous-sol, certains fonctionnaires semblent être en roue-libre et s’en prennent même à leurs collègues. Témoignages et documents montrent des situations de harcèlement sexuel et moral, des insultes racistes…

En trois ans, l’ensemble de ces faits ont fait l’objet de plusieurs rapports écrits que StreetPress a pu consulter. Et, au moins trois enquêtes distinctes ont été menées par l’IGPN. À chaque fois, les éléments rapportés ont, selon nos informations, été confirmés par plusieurs fonctionnaires. Mais à ce jour aucune sanction n’a été prise et la justice n’a pas été saisie pour ces faits (2). Les principaux mis en causes ont même vu leur carrière progresser et ont obtenu les mutations qu’ils souhaitaient. Par esprit de corps et par peur du scandale sans doute, la hiérarchie du brigadier-chef Amar Benmohamed a sciemment étouffé l’affaire. C’est ce qui l’a décidé à s’ouvrir à StreetPress : « Si je parle aujourd’hui, c’est parce que j’ai tout fait [à l’intérieur de la police] pour régler cette affaire et ça a échoué. » (...)

Cette décision d’aller au bout de cette bataille, il l’a prise dans la nuit du 11 au 12 mars 2019. Ce jour-là, une gardienne de la paix en poste dans les sous-sols du tribunal, interpelle vertement un détenu qui demande un repas sans porc :

« Tu prendras ce qu’on te donnera. On en a marre des bougnoules, c’est eux qui nous font chier en France. »

À quelques mètres à peine, des officiers installés dans leur bureau, porte ouverte, entendent les propos racistes. « Ils se lèvent pour intervenir », rembobine le brigadier-chef Benmohamed. « Mais la seule réaction des gradés est de la déplacer à un autre poste pour la nuit. » Pas de sanction, à peine une remontrance. (...)

C’est la scène de trop. (...)

« Pour certains faits, on peut presque parler de torture. » (...)

« Ils se sont engagés en réaction aux attentats. Pour schématiser, certains sont là pour défendre l’occident chrétien en péril. Le niveau de racisme y est assez élevé. » (...)

Dès leur installation au dépôt du tribunal, ces jeunes recrues se laissent aller à des comportements inappropriés, raconte le brigadier-chef. Et enclenchent la dynamique malsaine. « Ils appellent tous les déférés “les bâtards”. “Il reste à manger pour les bâtards ?” ou “Ramène ce bâtard en cellule”. Le mot est entré dans le langage courant et tout le monde a suivi, gradés compris. Sauf deux officiers. » (...)

« Je te lancerais tout ça dans la Seine. »
« Si on me laissait faire, je mettrais le feu à toutes ces merguez. »

Certaines nuits, même, l’une des policières aurait utilisé le microphone réservé aux annonces générales (évacuation ou évasion, etc…) pour réveiller l’ensemble des personnes en cellules en hurlant :

« Allez debout les bougnoules et les négros, c’est fini de dormir, on se réveille. »
(...)

Privation de nourriture, d’eau et d’accès au médecin (...)

Ces comportements illégaux transforment le dépôt en véritable cocotte-minute. D’autant que dans les cellules surchargées et insalubres de l’ancien tribunal de l’île de la Cité, la chaleur peut l’été être étouffante. « J’ai découvert que dans l’ancien tribunal, régulièrement des policiers coupaient volontairement la ventilation », soupire notre homme. « À l’intérieur, où étaient enfermées parfois plus de 15 personnes, ça devenait une véritable fournaise. » Les personnes arrivent au dépôt après 24 ou 48 heures – parfois même 96 heures – de garde à vue, fatiguées par les interrogatoires et les nuits en cellule. « Elles sont sales, ont faim. Parfois, elles ont tout perdu et sont stressées avant de passer devant un magistrat. » C’est toute leur vie qui est en balance. Ajoutez à ça la température excessive, « plus de 40 degrés », sans eau ni nourriture :

« Oui, je crois qu’on n’est pas loin de la torture. » (...)

Des faits vérifiés

Plusieurs fonctionnaires face à l’IGPN ou à leur hiérarchie ont, selon nos informations, confirmé aussi bien les vols d’argent dénoncés en 2018 que l’ensemble des maltraitances et insultes racistes rapportés l’année suivante. Les supérieurs directs des gardiens de la paix mis en cause n’ignorent pas non plus ces problèmes. En témoigne une série de mails envoyée par des gradés pour rappeler aux policiers du dépôt un certain nombre de règles. (...)

Les récits de ces mauvais traitements, beaucoup d’avocats les ont entendus de la bouche de leurs clients. Sur les 20 robes noires contactées, dix confirment à StreetPress avoir eu de tels retours. (...)

Le 12 mars 2019, par sa dénonciation écrite des insultes racistes répétées et des maltraitances en série, Amar Benmohamed contraint sa hiérarchie à réagir : il a mis en copie plusieurs gradés. Et même si, comme notre seconde enquête le démontre, il y a toujours une volonté manifeste de la hiérarchie (jusqu’au cabinet du préfet Lallement) d’enterrer l’affaire, l’IGPN est saisie. À ce jour aucune sanction n’a été prise et la justice n’a pas été saisie. Simplement une vague de mutations est opérée. Il ne s’agit pas d’une punition, puisque les fonctionnaires mis en cause obtiennent les postes demandés. Ce renouvellement des effectifs a pour conséquence de calmer le jeu au dépôt de nuit, selon le brigadier-chef Benmohamed. (...)

La page est-elle pour autant définitivement tournée ? Pas sûr… StreetPress a pris connaissance de deux récits d’événements postérieurs à cette vague de mutation qui correspondent parfaitement aux habitudes délictueuses de certains fonctionnaires du dépôt. (...)

Certains des fonctionnaires mis en causes par notre enquête sont encore en poste au dépôt, l’encadrement n’a pas changé et la majorité de ces officiers ont même pris un grade.