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Un documentaire sur (La)Horde déprogrammé par France 5 : “Un manque de courage du service public”
#culture #electionslegislatives #extremedroite #France5
Article mis en ligne le 30 juin 2024
dernière modification le 29 juin 2024

Alors que France 5 invoque la période de réserve avant les élections pour se justifier, la directrice de la compagnie de danse engagée contre le racisme dénonce, elle, une injonction à se taire.

Colère, incompréhension. Dans la voix de Marine Brutti, l’émotion bouillonne encore deux jours après avoir appris que France 5 déprogrammait le documentaire (La)Horde, révolte à Marseille. Un film consacré à cette compagnie de danse frondeuse et engagée, installée au sein du Ballet national de Marseille (BNM), et que la jeune femme codirige avec Jonathan Debrouwer et Arthur Harel. (...) Mercredi dernier, en effet, dans un communiqué des plus succincts, la chaîne annonçait trapper la diffusion, prévue vendredi 28 juin à 22h40, « en raison de l’actualité politique et du respect de la période de réserve liée aux élections législatives ». « France Télévisions préfère ne pas ajouter au débat public un élément susceptible d’alimenter la polémique à moins de quarante-huit heures du scrutin, à quelques minutes de la période de réserve dans l’Hexagone et après la période de réserve dans les territoires d’outre-mer (soit jeudi soir minuit heure locale) » nous faisait savoir vendredi la direction du groupe, sans plus de commentaire ou d’explications.

Comment un documentaire dans lequel on suit le quotidien des danseurs, au printemps 2023, alors qu’ils se préparent pour une représentation sur le Vieux-Port de leur spectacle culte, Room with a View, a-t-il ainsi pu passer sous les fourches caudines du comité de déontologie de France Télévisions chargé d’évaluer le contenu politique des programmes en période électorale ?
Bras de fer devant la caméra

Peut-être à cause du contexte sous haute tension qui électrise la seconde partie du film, alors qu’éclatent des émeutes à travers tout le pays, notamment à Marseille, à la suite de la mort du jeune Nahel, abattu par la police en juin 2023. Rattrapés autant que révoltés par une actualité qui fait écho à leur engagement, les danseurs de (La)Horde ne veulent pas rester silencieux. Ils expriment alors leur souhait d’insérer dans leur spectacle un message où ils s’engagent, au nom du Ballet national de Marseille, « contre les violences racistes et les dérives totalitaires, afin que le système injuste entende son peuple et que les meurtres au sein de notre république cessent ».

Mais, coup de théâtre, à trois heures de la représentation, le président du BNM met son veto au texte, au nom de la nécessaire neutralité de l’institution (...)

Mais, coup de théâtre, à trois heures de la représentation, le président du BNM met son veto au texte, au nom de la nécessaire neutralité de l’institution. Devant la caméra du réalisateur Olivier Lemaire s’engage alors un bras de fer entre les danseurs et le représentant de l’institution qui se soldera, in extremis, par un compromis. Une citation de Frantz Fanon – « Bannissons de notre terre tout racisme, toute forme d’oppression et travaillons ensemble pour l’épanouissement de l’homme et l’enrichissement de l’humanité » – s’affiche finalement sur l’écran géant à la fin du show, tandis que les danseurs, lèvres entrouvertes sur un murmure de colère, brandissent un poing serré. (...)

Pour Marine Brutti, cet épisode témoigne d’un « pouvoir vertical qui nous amène à nous taire ». Et, à ses yeux, la déprogrammation du documentaire en est une nouvelle expression. (...)

L’argument déontologique avancé par France Télévisions peine à la convaincre : « Pourquoi taire cette parole maintenant par souci de déontologie alors qu’on a l’impression d’être matraqués à longueur de journée par des propos racistes, violents, xénophobes, antisémites, qui sont le discours de l’extrême droite ? » (...)

Cette incompréhension, les danseurs de la compagnie ont pu l’exprimer collectivement jeudi 27 juin, lors d’une présentation du documentaire au Théâtre de la Criée. Face à la représentante de France Télévisions venue à Marseille pour l’occasion, ils ont redit leur colère. Ses justifications, arguant également du contexte inflammable lié à la date anniversaire de la mort de Nahel et des émeutes de juin 2023, ont laissé perplexe une partie du public venu assister à la projection, comme nous le raconte le réalisateur du film, Olivier Lemaire, présent sur place. (...)

Olivier Lemaire de souligner la cruelle mise en abyme de cette déprogrammation : « Un an après, le film vit lui-même ce qu’il a filmé. Quelle ironie ! »

Le réalisateur tente de se consoler avec l’annonce d’une nouvelle diffusion promise par France 5 en septembre. « Cyniquement, cette déprogrammation va peut-être attirer l’attention sur le film, qui en tirera peut-être bénéfice, ce qui est un peu ironique… » En attendant, on peut visionner sur France.tv Slash la série documentaire en quatre épisodes Life on Mars(eille), qu’il a cosignée avec Tom Schembri et Raphaël Chatelain, autour de danseurs de (La)Horde. Comme une fenêtre ouverte, dans ce ciel encombré, sur une planète dansante où souffle le vent de la révolte.