
(...) Le préfet l’avait annoncé partout depuis le 25 octobre 2023, la manifestation du 28 octobre à Nice déclarée par le « collectif pour une Paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens », serait interdite. Le quotidien Nice-Matin s’est fait l’écho de cette interdiction le 26 octobre à 7 h 45. Pourtant, une pluie d’ordonnances était tombée les jours précédents à travers la France, ordonnant la mainlevée d’interdictions similaires.
Il aura fallu attendre le vendredi 27 octobre 2023 à 18 h pour la publication de l’arrêté. Nous avons alors déposé le recours via l’applicatif Télé-recours le samedi 28 octobre à 0 h 50. Le mémoire en réplique nous a été remis à l’audience qui a eu lieu samedi à 11 heures, trois heures à peine avant la manifestation et la décision d’annulation de l’arrêté a été rendue moins d’une demi-heure avant la manifestation.
Ce cirque infernal dura dix semaines au cours desquelles toutes les manifestations ont été systématiquement interdites par un arrêté chaque fois annulé par la juridiction administrative. Semaine après semaine, les recours ont été portés par la Ligue des droits de l’homme, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), l’Association France Palestine et par la suite également par l’Association de Défense des Libertés constitutionnelles (ADELICO) et occasionnellement par des requérant·es personnes physiques. (...)
Un premier recours victorieux consacrant la liberté de manifester (...)
Nous avons plaidé devant la juridiction qu’en privant de parole les militant·es associatif·ves qui sont le plus aptes à expliquer que la voie des armes est inadaptée, on prenait le risque de laisser la place à des propos non maîtrisés.
Le préfet avançait un certain nombre de motifs pour justifier l’interdiction, les reprenant invariablement semaine après semaine (...)
En somme, pour le préfet, une multitude d’excellentes raisons de positionner ses forces de l’ordre de manière prioritaire limitant conséquemment l’exercice d’une liberté fondamentale.
Il tirait également argument de la circonstance que, le 22 octobre 2023, deux femmes avaient déclaré une manifestation en soutien avec la Palestine, manifestation interdite, laquelle interdiction avait été confirmée par le Tribunal administratif de Nice à grand renfort de communication. (...)
Pour annuler l’interdiction de manifester, le Tribunal a relevé, s’agissant des circonstances locales telles que de nombreux graffitis et inscriptions constatés à Nice depuis le 7 octobre 2023, que ces actes n’étaient pas suffisants pour interdire au collectif de manifester. L’administration ne justifiait ni du nombre, ni de la teneur, ni du fait que « chaque jour des mentions injurieuses et antisémites sont constatées » et ne pouvait pas les rattacher aux membres du collectif. Les événements observés en 2009 et 2014 étaient trop anciens pour être pris en considération. (...)
Pendant 10 semaines le préfet a persisté dans son obstination déraisonnable en dépit du désaveu systématique de la juridiction administrative.
Les arrêtés relevaient « l’esprit revendicatif à l’endroit du Maire de Nice Monsieur Estrosi », lequel avait déclaré pour sa part que le drapeau israélien serait installé sur le fronton de la mairie de Nice « tant que la guerre ne sera pas finie ». Lors d’une interview accordée au média I24NEWS le 16 novembre 2023, le maire de Nice a indiqué : « Nous avons veillé avec le préfet à ce que toutes les manifestations pro-palestiniennes soient interdites mais malheureusement la juridiction administrative a cassé systématiquement cette interdiction » (...)
Lors d’un entretien télévisé diffusé le 2 décembre 2023, le préfet a multiplié les propos particulièrement virulents et même diffamatoires envers les manifestant·es, allant jusqu’à affirmer que « ces manifestations ne sont pas des manifestations pour la paix, ce sont des manifestations anti-israéliennes, antisionistes […] elles entretiennent une sorte d’antisémitisme d’atmosphère ». (...)
Plus grave encore, le préfet affirmait que ses interdictions systématiques, même suspendues quelques heures avant l’échéance, visaient clairement à dissuader les manifestant·es de se déplacer (...)
La circonstance qu’un représentant de l’État assume ainsi publiquement faire totalement fi des décisions de justice – pourtant univoques et répétées – et persister dans un usage manifestement illégal de ses pouvoirs à des fins de dissuasion de l’exercice de la liberté de manifestation et d’expression constitue indiscutablement une atteinte grave à un intérêt public et au caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion.
Le caractère systématique de l’interdiction non reconnu
Le préfet, en ne délivrant pas une information sincère aux citoyen·nes, dans une volonté assumée de les dissuader de manifester, a porté atteinte à leurs droits fondamentaux de cette manière-là aussi.
Par la suite, le tribunal a fait injonction au préfet d’effacer le contenu erroné dès la notification de la décision. Le préfet a renoncé à communiquer sur X les semaines suivantes.
Le 18 novembre 2023, le Tribunal administratif de Nice a suspendu pour la quatrième fois consécutive l’arrêté du préfet des Alpes-Maritimes et souligné : « Par ailleurs, l’arrêté querellé constitue la quatrième mesure d’interdiction contre une manifestation organisée par les associations requérantes sur le même sujet en quatre semaines. Ces interdictions présentent ainsi un caractère systématique incompatible avec le principe de la liberté fondamentale de manifester pacifiquement sur la voie publique ». (...)
Un usage malhonnête de moyens de communication pour dissuader les manifestant·es (...)
Le 6 janvier 2024, pour la première fois en trois mois, la manifestation pour la paix s’est tenue sans recours, le préfet des Alpes-Maritimes renonçant à s’y opposer. Ainsi, treize décisions de justice défavorables et une condamnation à 23 400 € de frais de justice pour l’État et donc pour les contribuables auront été nécessaires pour que cesse l’obstination déraisonnable du préfet Moutouh. Il était obstiné, certes, mais, nous étions déterminé·es.