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Trump renomme le golfe du Mexique : « Les cartes sont un dispositif d’écriture du monde »
#Trump #cartes
Article mis en ligne le 11 février 2025
dernière modification le 9 février 2025

Trump a décrété que le golfe du Mexique serait désormais nommé « golfe de l’Amérique ». Une décision solitaire qui signe « un changement de paradigme ostensible et très inquiétant » pour l’historienne Nepthys Zwer.

Dès le jour de son investiture comme président des États-Unis, le 20 janvier, Donald Trump a signé un décret visant à renommer le golfe du Mexique en « golfe de l’Amérique ». Le mont Denali, plus haut sommet étasunien nommé ainsi par la population autochtone des Athabaskans, en Alaska, a été dans le même décret rebaptisé en « mont McKinley », nom qu’il avait déjà porté de 1896 à 2015, en hommage au 25ᵉ président des États-Unis.

Pour Reporterre, l’historienne Nepthys Zwer explique le sens de tels symboles géographiques, et l’importance du pouvoir de dessiner les cartes dans l’histoire coloniale et anti-écologique de l’Occident. Elle est notamment l’autrice de Pour un spatio-féminisme. De l’espace à la carte (La Découverte, 2024) et co-autrice de Cartographie radicale (La Découverte, 2022). (...)

Nepthys Zwer — On est avant tout dans le registre du symbolique et du fantasme, celui du néo-impérialisme, de la « grandeur de l’Amérique ». C’est aussi une charge contre les autochtones, les migrants et globalement contre toute personne qui ne serait pas nord-américaine blanche, identifiable selon certains critères.

D’un point de vue historique, cette façon de reprendre la main sur la manière de nommer le monde est un processus assez banal et classique. Les toponymes et les cartes sont des sortes de palimpsestes, des mémoires de l’histoire : chaque nouveau dirigeant ou propriétaire va y inscrire les toponymes de son choix en effaçant les précédents.

De la même manière, lorsque Emmanuel Macron a déclaré que le Sahara occidental était une propriété du Maroc, le ministère des Affaires étrangères a dû corriger ses cartes dans les jours suivants. (...)

Les cartes sont un dispositif d’écriture du monde. Elles ont une force performative, produisent un effet sur le réel car on leur attribue un crédit de scientificité et d’objectivité. Les décisions de Donald Trump sont à ce titre soutenues par de véritables politiques expansionnistes, presque belliqueuses. Renommer les cartes nous prépare à une normalisation de ces politiques.

Traditionnellement, ce sont les États-nations qui possèdent et imposent ce pouvoir cartographique. La grande nouveauté ici, c’est que ce pouvoir ne semble plus être que le choix d’un homme, Donald Trump, allié aux Gafam [les multinationales étasuniennes du numérique, représentées par cet acronyme qui désigne Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft]. C’est un changement de paradigme ostensible et très inquiétant sur le pouvoir de dire le monde.

Les cartes ont-elles toujours été un instrument de domination ?

Cela s’est construit historiquement. À l’origine, elles étaient un outil de déplacement et d’orientation. (...)

Une carte est toujours une simplification. Elle décomplexifie le monde et fige une vision du monde, avec une intentionnalité qui est toujours sous-jacente. Elle nous conditionne et restreint notre champ de vision. (...)

Depuis tout petits, nous sommes confrontés à des cartes qui nous placent au centre et construisent une vision nombriliste du monde. Elles sont aussi très androcentrées en ce sens qu’elles alimentent une conception masculiniste du monde, valorisent la figure de l’explorateur, du conquérant. (...)

On nous apprend à l’école le sens de traits dessinés sur la carte et qui sont, à ce titre, présentés comme naturels alors qu’ils sont un découpage politique, artificiel du territoire. De même, les rivières ou les montagnes sont représentées comme des frontières naturelles alors qu’il s’agit surtout d’interfaces. (...)

Développer une contre-culture cartographique peut, à l’inverse, être un puissant outil pour les luttes ?

En tant que simples récepteurs des cartes, nous n’avons aucun moyen de comprendre comment elles ont été conçues, de les vérifier, de les dénier ni de les corriger. Développer une contre-cartographie permet de s’emparer de ce pouvoir de dire le réel, et de lui faire dire autre chose et de nous intéresser à d’autres objets sur la carte.

Cela peut servir à se réapproprier l’espace public en cartographiant la vie quotidienne, en s’intéressant au corps et aux pratiques quotidiennes. Des « cartes de la peur » des femmes dans l’espace urbain peuvent, par exemple, déconstruire certains discours sécuritaires, en soulignant les problèmes de harcèlement de rue mais en pointant en même temps que l’espace le plus dangereux est parfois le domicile où se trouve le conjoint toxique, davantage que la rue la nuit.

Rendre visibles des enjeux spatiaux et des interactions humaines permet de politiser des problèmes que l’on pensait réduits à l’intimité. (...)