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Jadis attentifs au dérèglement climatique, les géants du numérique font allégeance au nouveau président des États-Unis. Stigmate paradoxal du capitalisme fossile, cette alliance peut détruire la planète si rien n’est fait pour s’y opposer.
Déjà les éléments se déchaînent. La planète, en flammes, battue par les vents ou inondée, subit la violence des intempéries. De Los Angeles à Mayotte, en passant par Valence, pour n’évoquer que certaines catastrophes climatiques récentes, des vies sont régulièrement emportées par dizaines, voire par centaines, pendant que des espèces animales et végétales disparaissent sous le coup des activités humaines.
Du nord au sud, les événements extrêmes, qui frappent plus massivement les populations précarisées, illustrent tragiquement le constat du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) : aucune partie du globe n’est désormais épargnée par le chaos climatique. (...)
Le nouveau président des États-Unis, Donald Trump, n’est pas à l’origine de tous les maux. Malgré des velléités de « Green New Deal » et autres promesses de planification à la suite d’une apparente prise de conscience, les politiques d’austérité en vigueur depuis la crise financière de 2008 ont non seulement creusé les inégalités mais, en paralysant les États, ont conduit le « libre marché » à aggraver la crise écologique.
Le manque de volontarisme (...)
Alors que les politiques d’atténuation mises en place ces dernières années ont été incapables d’enrayer la machine par manque de volontarisme, l’investiture de Donald Trump à la Maison-Blanche apparaît comme le coup fatal. Qu’est-ce qui pourrait être pire qu’un climatosceptique extractiviste aux manettes du premier pollueur mondial, second émetteur de gaz à effet de serre et premier producteur de pétrole ?
On pourrait être tenté de répondre que c’est du « déjà-vu », comme disent les Américain·es, en français dans le texte. Pourtant, 2024 n’est pas un remake de 2016.
Le coup fatal
Tout d’abord, la recherche scientifique nous a appris que nous n’avons plus le temps d’attendre un prochain cycle électoral plus favorable : le coût de chaque mois supplémentaire de retard ou d’aggravation est exponentiel. (...)
Compte tenu de l’impact central des États-Unis, le maintien au-dessous de 1,5 °C devient presque impossible, ce qui revient à dire qu’en élisant Donald Trump, les électeurs et électrices des États-Unis ont poussé le globe sur une pente irréversible.
À cause de ce choix décisif, les conditions d’existence du vivant sont menacées. Elles le sont d’autant plus que les contours du trumpisme ont changé : ce qui se présentait comme un populisme de droite néolibéral a connu, ces dernières années, une dérive fascisante propre à inquiéter ce qu’il reste de démocrates.
Non seulement Donald Trump promet une politique plus climaticide qu’il y a huit ans, mais sa capacité de contrôle de l’État, pour le détruire, avec l’appui du monde des affaires, s’est accrue, à un moment où la catastrophe climatique, concurrencée par des guerres de haute intensité, anesthésie l’appréhension générale de l’imminence du péril. (...)
la nouvelle alliance des géants de la tech avec Donald Trump est si puissante qu’elle peut accepter quelques superficielles divergences d’intérêts. (...)
Après avoir muté chacun de son côté, ces acteurs politiques et économiques se rejoignent désormais sur l’essentiel : une vision libertarienne et autoritaire, techno-solutionniste, masculiniste et climaticide, qu’on pourrait qualifier de fascisante tant elle se reconnaît à sa volonté de liquider les institutions existantes, y compris par la force, pour mieux reconstituer des hiérarchies au bénéfice d’une « régénération identitaire ».
Contrairement à ce que l’on pourrait naïvement imaginer, cette micro-élite n’est pas aveugle à la catastrophe climatique : elle considère simplement qu’il est trop tard et que la priorité est de sauver les siens et, au mieux, sa classe sociale, définie comme blanche et suffisamment fortunée pour s’en sortir seule au détriment des autres.
Concrètement, ce séparatisme survivaliste se traduit par la volonté, identifiée dans le « Projet 2025 » de la Heritage Foundation, de dépouiller et de privatiser l’État, en s’appuyant sur un chacun pour soi forcené, revisitant la loi du plus fort féodale.
Les raisons de l’allégeance
L’allégeance d’Elon Musk (Tesla, X, SpaceX) et maintenant de Mark Zuckerberg, patron de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), entre autres, à Donald Trump s’explique par l’évolution de l’économie de la tech. Longtemps considérés comme des soutiens de la cause climatique, ils font volte-face les uns après les autres, car les conditions de leur hégémonie sont aujourd’hui remises en question. (...)
La tech a intérêt au désastre : elle emploie tous les moyens à sa disposition pour conduire les habitant·es de la planète à s’autodétruire. (...)
Comprenant les potentialités de la tech à la fois pour façonner l’opinion politique mondiale et surveiller les masses, Donald Trump répond en tout point à ses attentes gargantuesques : par la double promesse de dérégulation du marché et de privatisation de l’État d’une part, par l’ambition expansionniste d’autre part. C’est à cette aune que doivent se lire les visées du nouveau président sur le Groenland et le Canada. L’aspiration annexionniste n’est pas l’émanation d’un cerveau clownesque : elle ne fait que refléter un impérialisme prédateur cohérent avec les intérêts de son clan, soucieux de tenir la Chine à distance.
Dans un entretien à Mediapart, la chercheuse en sciences politiques Cara New Daggett ne s’étonne pas de la mue d’Elon Musk, autrefois défenseur de l’action climatique, en porte-drapeau du trumpisme. Elle l’explique par un « techno-optimisme » profondément ancré dans le « désir d’énergie illimitée » inséparable du capitalisme fossile au cœur de l’organisation des économies occidentales. Selon elle, le récit proposé par Trump a réussi à s’imposer parce que cet ordre sexiste et raciste, apparemment immuable, n’a pas été suffisamment attaqué par les démocrates quand ils étaient au pouvoir. (...)
Face aux vents contraires
En tout état de cause, la conjonction entre des moyens technologiques surpuissants et un agenda idéologique d’extrême droite représente une menace inédite pour le monde. Et en premier lieu pour les femmes, les minorités raciales et de genre et les pauvres.
Fondamentalement, nous sommes tous et toutes concernées, car l’habitabilité du monde est en jeu. (...)
Nous en sommes là. Ils savent, nous savons. Le rôle du journalisme est de garder des traces, d’archiver, de contextualiser et de révéler ce qui est caché, ignoré ou placé sous silence par les forces qui nous gouvernent. Sa mission d’intérêt général est de documenter les crimes climatiques et de placer les puissances économiques et politiques face à leurs responsabilités. Mais aussi de décrire les possibilités d’existence, les expériences alternatives et les contestations de l’ordre établi. Nous prenons toute notre part à cette bataille qui engage notre survie et celle des générations futures.