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"Trois décennies de prises de position" de Christian de Montlibert
#sociologie #liberalisme #inegalites
Article mis en ligne le 11 mai 2024
dernière modification le 6 mai 2024

Christian de Montlibert est sociologue et professeur retraité. (...)

« Mon livre insiste sur la violence des rapports sociaux ».

Christian de Montlibert observe le rapprochement « des dominants des mondes politiques, économiques et culturels », la conversion des élites au néolibéralisme et la guerre menée pour défaire tous les acquis sociaux des luttes ouvrières et syndicales des dernières décennies.

Diasporadz : Vous venez de publier « Trois décennies de prise de position » aux Editions le Croquant. Pouvez-vous nous décrire en quelques phrases les raisons de la publication de ce livre ?

Christian de Montlibert :

Comment en effet ne pas mettre en cause les dominants de ce monde lorsqu’on constate non seulement l’augmentation de la pauvreté de nombreux salariés, hommes et surtout femmes, mais aussi une détérioration de leurs conditions d’existence telle que, lors d’une épidémie comme celle du COVID, leur mortalité s’accroit considérablement ?

Comment rendre compte des travaux sur l’immigration calmement sans voir que la détérioration des conditions de vie dans de nombreuses régions soumises à l’agro-industrie de multinationales entièrement tournées vers l’exportation pousse les plus jeunes à émigrer et à risquer leur vie en traversant des mers ?

Comment rendre compte sans sourciller de politiques d’État qui transforment les systèmes de solidarité mis en place après bien des luttes sociales et engendrent une compétition intense entre les individus et même la violence interpersonnelle ?

Après chaque étude, j’ai essayé d’informer le plus grand nombre possible en publiant de courts articles dans les journaux qui voulaient bien m’accueillir ou sur des sites internet ayant une vocation plus militante.

La prise de conscience de l’ensemble des transformations du monde social – non plus de chacune, isolée des autres en quelque sorte – m’a conduit à vouloir rassembler les prises de position tant les rapports de force ont transformé de fond en comble les situations sociales depuis la conversion des dominants au néolibéralisme. (...)

Ce changement d’orientation redonne la part belle au capital économique dont les politiques sociales revendiquées par les syndicats s’étaient efforcées d’en limiter les effets et induit un démantèlement plus ou moins radical des institutions sociales protectrices des salariés.

D’un côté, les conditions de retraite modifiées, le système de santé de plus en plus orienté vers le secteur privé, l’indemnisation du chômage réduite, en témoignent. Il n’est pas jusqu’au droit du travail qui ne soit transformé à l’avantage des employeurs.

De l’autre côté, les entreprises et les plus riches bénéficient de politiques qui leur sont favorables (...)

Mieux encore, pour le capital économique, les relations entre les membres dirigeants du champ économique, du champ politique et du champ médiatique sont devenues plus étroites alors qu’au contraire la dispersion géographique des petites et des moyennes entreprises, l’utilisation de techniques de gestion du personnel intégratives ici et l’usage de la répression des revendications là, les tactiques de division des syndicats ailleurs, amplifient la démobilisation des salariés hommes et femmes.

Face à cette régression on comprendra que j’ai souhaité ce livre qui insiste sur la violence des rapports sociaux. (...)

La première importance de ce livre est bien là : démonter des discours idéologiques, défaire des représentations qui masquent la réalité de rapports de force entre les groupes sociaux. Plusieurs textes publiés dans ces « trois décennies de prises de position » ont cet objectif de démonter des illusions. (...)

Ainsi la sociologie produit une description de la réalité sociale qui, bien que ressentie, n’était pas accessible à la conscience ou, au mieux, ne l’était que très partiellement (...)

Les prises de position de ce livre décrivent les conséquences, toujours masquées pour les individus, des décisions que les dominants des mondes économiques, culturels, étatiques jugent conformes à leurs manières de voir le monde et surtout efficaces pour leurs intérêts. (...)

Du côté économique, la Banque européenne n’est contrôlée par aucune autorité politique : elle échappe à tout contrôle démocratique ; du côté politique, la Commission européenne s’est ralliée à un libéralisme radical ; ainsi, la Constitution européenne est en retrait par rapport aux doits affirmés dans le préambule de la Constitution française : le droit du travail devient le droit au travail dans le texte européen, ce qui n’est pas la même chose !

L’examen des positions sur l’université est un autre exemple significatif. (...)

A l’époque d’une mondialisation financière qui proclame les vertus de la « liquidité » du capital et les vertus de la « flexibilité » du travail, on ne peut que s’étonner du peu de cohérence de ceux qui protestent contre la mobilité de la force de travail, tant les déplacements de populations dépendent des rapports de domination économique qui font des anciennes colonies et des pays dépendants des banlieues dans les quelles peuvent puiser les puissances capitalistes.

Mais quelle que soit la catégorie dans laquelle l’État classe les immigrants, ils partagent les mêmes souffrances que leurs prédécesseurs : « souffrances de condition » (chômage, conditions de travail éprouvantes, précarité, absence de droits politiques, etc.) et « souffrances de situation » (illusions et désillusions, suspicion, nostalgie, contradictions de la « double absence », etc.).

Reste que les rapports concurrentiels exacerbés suscités par le néolibéralisme engendrent un déchainement des intérêts économiques qui s’accompagne d’un recours à la force armée. Sous jacent à ces pratiques guerrières, il y a des enjeux d’appropriation d’espaces pour contrôler des ressources ou empêcher d’autres puissances de se les approprier, mais aussi des enjeux plus symboliques pour rappeler que la domination exercée ne doit pas être contestée ou encore que ceux qui voudraient contester l’ « ordre » capitaliste du monde ne peuvent qu’être éliminés.

Toutes les analyses sociologiques de ces « trois décennies » montrent que progressivement s’est mise en place une régression culturelle et sociale qui non seulement lève les prohibitions des rapports de force directs qui freinaient jusqu’alors leur utilisation mais les fait reconnaitre comme justifiés !