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Alternatives Economiques
Tribune Essor de l’enseignement privé, asphyxie des universités : l’Etat joue contre son camp
#universites #enseignemeentprive
Article mis en ligne le 17 janvier 2025
dernière modification le 15 janvier 2025

Mathis d’Aquino, doctorant à Sciences Po Bordeaux, estime que les pouvoirs publics doivent cesser de financer l’offre d’enseignement supérieur privée et de placer les universités dans une situation financière intenable.

La chronique de fin d’année 2024 sur les aides à l’embauche d’apprentis1 soulève des interrogations quant au financement de l’enseignement supérieur privé. Depuis la réforme de 2018 sur l’apprentissage, le secteur privé lucratif du supérieur connaît une croissance exponentielle, portée par la création massive de centres de formation d’apprentis (CFA), captant les fonds publics de l’apprentissage.

Soutenues par un cadre législatif aussi libéral qu’obsolète, ces écoles jouissent d’une agilité déconcertante, là où les universités publiques subissent une rigidité structurelle. Le privé se déploie très vite, sur des niches sectorielles qui s’étendent du design jusqu’au droit.

Mais ce « succès » repose sur une demande artificielle créée par des dispositifs marchands, et sur un soutien de l’État dont il est difficile de comprendre les justifications.

Les écoles privées s’insèrent en effet dans un maquis informationnel, où l’opacité devient une stratégie. La recherche empirique que j’ai menée à Bordeaux entre 2023 et 2024 révèle que familles et étudiants peinent à distinguer les degrés de reconnaissance d’une formation.

Certaines écoles vendent comme « diplôme d’Etat » de simples titres RNCP [Répertoire national des certifications professionnelles, NDLR.], alors que ces derniers ne sont qu’une certification par le ministère du Travail de l’adéquation entre la formation et les besoins économiques à un instant T, sans contrôle de la qualité des enseignements délivrés.

De même, les établissements privés jouent du halo terminologique qui entoure les noms des diplômes, comme « Bachelor » (terme non réglementé) ou « Mastère », jouant clairement sur l’ambiguïté avec le « Master » délivré par les universités publiques et reconnu, lui, par l’État. Malheureusement pour les étudiants qui peinent – légitimement – à s’y retrouver, un petit « e » en plus, ce sont de grandes opportunités en moins. (...)

La DGCCRFa mis en lumière l’usage illégal de mentions telles que « licence » ou « master », observable dans les salons d’orientation et sur Internet (...)

Ces salons eux-mêmes, prétendument conçus pour éclairer les familles, deviennent des vitrines biaisées où les écoles lucratives sont surreprésentées. Ils sont devenus un véritable maquis d’où les familles ressortent désorientées, ce qui est un comble.
Discours trompeurs

Il est d’autant plus difficile de s’y retrouver que les établissements privés développent un discours transformant leurs vices en vertus. L’absence d’un corps professoral permanent, remplacé par des intervenants qui font quelques tours et puis s’en vont, est ainsi valorisée comme une marque de professionnalisation, masquant en réalité une incapacité à recruter et maintenir des enseignants qualifiés.

Plus généralement, les écoles privées s’approprient le discours dominant sur « l’employabilité » (relayé par les pouvoirs publics) en proposant des formations en alternance rendues « gratuites » grâce aux aides publiques. (...)

De la même façon, l’argument du recrutement « hors Parcoursup » masque leur incapacité à répondre aux critères de la plate-forme d’accès à l’enseignement supérieur, tout en jouant sur les peurs et imaginaires des étudiants. Mais aujourd’hui ces établissements créent des alternatives telles que ParcoursPrivé, revendiquant un rôle d’anti-Parcoursup, tout en mimant son modèle.

Dépendance aux subventions publiques (...)

Ces écoles, qui derrière des noms rutilants sont souvent des Centres de Formation d’Apprentis (CFA), ne pourraient survivre sans ces aides publiques, qu’elles défendent naturellement avec une ardeur révélatrice. La « réussite » actuelle de la politique d’apprentissage ne dépend que des financements à guichet ouvert, alimentant des profits privés, à l’heure où les universités sont, elles, assoiffées (d’aucuns diront volontairement ?). (...)

en parallèle, les universités publiques, en sous-financement chronique, envisagent de fermer des formations et des campus. Cette asphyxie budgétaire accélère la privatisation du supérieur et place l’État dans une position intenable de grand financier du privé et de grand désengagé du public.

La privatisation de l’enseignement supérieur pose de graves questions de démocratie, de contrôle et de qualité. Par son financement aveugle et sa passivité réglementaire, l’État soutient sur fonds publics un système qui finance des profits privés.

À l’heure où les universités luttent pour leur survie, il est urgent que l’État reprenne la main : en régulant fermement, en surveillant les pratiques abusives et en soutenant et valorisant ses établissements publics, où la qualité de la formation et de la recherche est assurée.

L’État doit défendre ses propres établissements, réguler le secteur privé bien au-delà de la simple apposition d’un label, et ne pas faire reposer sur des familles endettées, déçues et désemparées, la responsabilité de choisir l’incertain.