
Comment l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, distribue une brochure écoeurante aux enfants qui vont être expulsés du territoire. Financée par n(v)otre argent, en n(v)otre nom.
L’expulsion d’enfants...
... qui, parfois, ont résidé ici durant des années, parfois quasiment toute leur vie, est toujours un acte violent. Devoir quitter le territoire signifie abandonner ses copains et copines, des proches, l’école, les activités extrascolaires, son animal de compagnie, son ancrage, sa vie. Le nier est une absurdité. Vouloir tromper l’enfant sur la réalité de ce qui va se passer, alors qu’il voit ses parents catastrophés et dans une tristesse profonde, est sadique.
Nous ne voyons pas comment classer la brochure FRONTEX à destination des enfants sur le point d’être expulsés autrement. Publiée par l’agence en 2023, elle est censée “accompagner et faciliter” le processus pour l’enfant. Nous comprenons l’intention – l’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ? – mais vouloir aider celui que l’on rejette, à qui on refuse justement l’aide, n’est-ce pas une antinomie ? Est-ce pour cela que les brochures résultantes sont si insupportables et nous contraignent à poser des questions :
– qui a validé ce projet ?
– qui a pensé qu’il nous dédouanera de notre responsabilité collective d’avoir approuvé ce rejet ?
– pourquoi aujourd’hui encore, cette brochure est-elle utilisée et disponible dans toutes les langues de l’Union Européenne ?
(...)
Malheureusement, même si tu as envie de rester, ce n’est pas possible ”
Alors que la brochure tente de brosser un tableau de “grande aventure positive”, les dessins pour ados et mineurs non-accompagnés sont littéralement cauchemardesques. Voyons d’abord le narratif autour de ce moment vécu par les enfants, en toute impuissance. Nous n’allons plus distinguer entre les trois versions car le narratif est identique, il n’y a que le vocabulaire (et encore) qui est adapté.
En préface, une note adressée aux parents : “N’oubliez pas que les enfants vont bien lorsque leur famille se porte bien.” peut-on y lire. Quel niveau de mépris et de culpabilisation. Soyez calmes et joyeux. Si vous ne l’êtes pas, le traumatisme de votre enfant sera de votre faute.
Continuons. (...)
Aux enfants qui, depuis l’annonce de leur expulsion, se trouvent dans un vortex de perte de contrôle et d’incertitude, Frontex apprend qu’en théorie ils ont des droits sauf que personne, strictement personne ne leur a demandé leur avis durant cette procédure.
“ Ils (ndlr. : les droits) sont tous aussi importants les uns que les autres, on ne peut pas te les retirer et tu en disposes partout où tu vas.”
Comprenons : un enfant qui va se retrouver dans un pays, souvent inconnu, a maintenant la mission de réclamer ses droits parce que FRONTEX lui a indiqué qu’ils sont appliqués partout (ce qui n’est évidemment pas vrai). Si ce n’était pas si cynique, on pourrait presque en rire. (...)
Selon Unicef, les centres de rétention sont “Une pratique strictement contraire à l’intérêt supérieur des enfants”
Après avoir rassuré les enfants qu’être enfermé est normal, FRONTEX poursuit à énumérer les plaisirs du voyage : De quelle couleur sera le gilet de votre accompagnateur ? L’accompagnateur sera… membre des forces de l’ordre, d’ailleurs dans le visuel suivant, on voit le gilet, celui dont l’enfant doit s’extasier, porté par des “accompagnateurs” qui ont menotté une personne qui refuse de monter à bord de l’avion, de se faire expulser.
Et la brochure omet d’écrire que si tes parents refusent de monter à bord, ils seront à leur tour menottés. (...)
“Maintenant que tu es dans le pays de ta famille, tu vas vivre des expériences nouvelles et différentes.”
L’enfant connaît son pays, celui où il habitait, celui où ses ami/e/s se trouvent, son école, ses loisirs. Celui qui lui a dit “nous ne voulons pas de toi”. La probabilité que les parents de l’enfant aient fui une situation de guerre, de menace, de pauvreté insurmontable est grande. “ [..] tu seras dans une nouvelle maison, une nouvelle école.[..]” est une affirmation étonnante, comme s’il s’agissait vraiment d’un simple déménagement entre deux pays démocratiques, paisibles et offrant toutes les possibilités et droits à l’enfant (et ses parents). Lui promettre que sa vie sera identique sauf que la langue et la nourriture changent – sans oublier qu’il y aura des nouveaux bonbons aussi, hallelujah : “ tu pourras te faire de nouveaux amis sympathiques et découvrir de nouveaux bonbons !” (...)
“Déménager vers ton pays d’origine ne doit pas t’empêcher de continuer à rêver...
... Si tes rêves, tes souhaits et tes objectifs sont clairs, cela t’aidera à faire le nécessaire pour les réaliser.”
Quel soulagement, dans notre ignorance la plus crasse on se disait que la situation géopolitique, le PIB, etc. jouaient un rôle, s’il suffit d’avoir un objectif clair pour que la vie se passera exactement comme si l’enfant et ses parents avaient pu jouir de notre protection, tout va bien, in fine. (...)