
Après la publication d’une tribune s’alarmant de sa nomination comme parrain du Printemps des poètes, l’écrivain a reçu le soutien d’éditorialistes et de responsables politiques. La bataille culturelle menée par l’extrême droite se porte bien.
La nouvelle ministre de la culture, Rachida Dati, considère qu’il « fait partie de ces écrivains qui ont le désir de partager avec tous l’amour des mots » et se réjouit « que le Printemps des poètes célèbre partout en France cette vision de la poésie, ouverte, libre et populaire ». Son collègue de Bercy, Bruno Le Maire, qui se pique de littérature à ses heures perdues, le qualifie d’« écrivain de grand talent » et de « plume aventureuse ». Le patron du parti Les Républicains (LR), Éric Ciotti, voit en lui un « immense écrivain et baroudeur, attaqué injustement par la bien-pensance ».
Depuis quelques jours, les responsables politiques volent au secours de Sylvain Tesson, qu’ils estiment victime d’une « cabale scandaleuse » (Xavier Bertrand) émanant d’« une police de la pensée [qui] croit pouvoir décréter qui est autorisé à parler et qui ne l’est pas » (Valérie Pécresse). L’objet de leur courroux : une tribune parue le 18 janvier dans Libération, dans laquelle plus de 1 200 signataires – poétesses, poètes, éditrices et éditeurs, libraires, actrices et acteurs de la scène culturelle française – critiquent la nomination de l’« écrivain voyageur » comme parrain du Printemps des poètes 2024, qui doit se tenir à Montpellier (Hérault) du 9 au 25 mars.
Le texte, notamment signé par les écrivaines Chloé Delaume (prix Médicis 2020) et Nancy Huston (Prix Goncourt des lycéens 1996 et Prix Femina 2006), le poète et dramaturge Jean D’Amérique (Prix Heredia de l’Académie française 2022) ou l’historienne de la littérature et essayiste Marielle Macé (Grand prix SGDL de la non-fiction 2023), s’inquiète que l’événement culturel « créé “afin de contrer les idées reçues et de rendre manifeste l’extrême vitalité de la poésie”, soit [aujourd’hui] incarné par un écrivain érigé en icône réactionnaire ». (...)
Un rouleau compresseur médiatico-politique
Côté médias, Sylvain Tesson a aussi été défendu par de nombreux éditorialistes (...)
Une « contre-tribune » a même été publiée dans Le Point pour dénoncer « les pernicieux travers du terrorisme intellectuel tout autant que la dictature morale, ces deux dangereux vecteurs idéologiques du totalitarisme » – autrement qualifié de « wokisme ». (...)
Pour l’heure, Sophie Nauleau, la présidente du Printemps des poètes, ancienne productrice sur France Culture, n’a fait aucun commentaire. Mais le rouleau compresseur médiatico-politique est tel que la tribune initiale est déjà méprisée, vilipendée, jetée aux égouts, et ce alors même qu’elle pose un débat qui mériterait d’être nourri : celui de la bataille culturelle que mène l’extrême droite à travers tous les champs de la société. Et de la place que les grands événements culturels, par ailleurs largement subventionnés sur fonds publics, lui accorde. (...)
Car oui, Sylvain Tesson n’est pas seulement un « écrivain réac assumé », un « conteur anti-moderne », ou un « anar de droite comme on en fait plus d’ailleurs », comme on l’entend ici ou là. Il entretient avec l’extrême droite un compagnonnage ancien, que le journaliste François Krug a largement documenté dans son livre-enquête Réactions françaises (Seuil, 2023), dont Mediapart avait publié les bonnes feuilles. (...)
Aussi obsédé par l’islam que Michel Houellebecq, Sylvain Tesson fait partie de ceux qui pensent que « les nouvelles générations de l’immigration arabo-musulmane, parfois parfaitement intégrée et parfois parfaitement hostile, formeront demain un socle de population majoritaire ». Il s’est aussi illustré par des propos qui fleurent bon la naphtaline s’agissant de l’égalité entre les femmes et les hommes qu’il qualifie d’« ambition de terrassier ». Au fil de ses récits de voyage, il a plusieurs fois porté un regard misogyne sur ces « vieilles filles » qui « atteignent l’âge de non-retour ». Pourtant, l’écrivain, actuellement en tournée médiatique pour son livre Avec les fées (Éditions des Équateurs) n’est jamais interrogé sur ses prises de position ou ses liens avec l’extrême droite.
Personne n’y voit réellement de problème, comme l’a illustré la journaliste Léa Salamé qui a récemment interviewé Sylvain Tesson sur France Inter et s’est ensuite étonnée d’être contactée par Arrêt sur images sur le sujet. (...)
C’est oublier un peu vite que la bataille culturelle entreprise par l’extrême droite ne passe pas seulement par ses responsables politiques.