
Le documentaire d’Ovidie met en lumière les violences obstétricales et gynécologiques et s’interroge sur la façon d’y mettre un terme.
En une minute, le ton est donné. Face caméra, une femme raconte son accouchement. Les larmes ne mettent que quelques secondes à monter. Le traumatisme est bien présent. Elle raconte une douleur inhumaine, sa demande de césarienne, le refus de la gynécologue (« Bah non, c’est bon, on a presque fini ») et sa façon de dissocier le bas du corps de la patiente, celui d’où va sortir le bébé, et le haut, celui d’où sortent les cris de douleur, les angoisses, les demandes. « Elle fait de la technique, reprend la femme interrogée. Elle fait la garagiste. » (...)
La minute suivante, une autre femme raconte l’épisiotomie qu’on lui a infligée sans consentement, sans prévenir et sans interruption malgré ses supplications.
Les témoignages tombent. Tous sont aussi cauchemardesques les uns que les autres. Ces femmes ont réellement été prises pour des réceptacles à bébés, des dispositifs sans âme ni sensation dont on retire un enfant le jour J. (...)
Après Là où les putains n’existent pas, sur les conséquences tragiques de la politique antiprostitution menée en Suède, la réalisatrice Ovidie poursuit son entreprise de décorticage méthodique de la condition des femmes.
Cette fois, elle entre dans les salles de travail et d’accouchement, là tout semble parfois permis au prétexte que le personnel médical sait ce qu’il fait et que la mère n’a qu’à serrer les dents.
Tu enfanteras dans la douleur entend aller au-delà du simple constat. Le documentaire prend le temps de laisser la parole aux concernées, la majorité des femmes victimes de violences gynécologiques et obstétricales ayant souvent préféré s’autocensurer –aucune envie de passer pour des chieuses, d’entendre sa parole remise en question, de ternir ce qui est souvent désigné comme le plus grand moment de la vie d’une femme (gloups). (...)
Ovidie est aussi allée rencontrer le docteur Israël Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), pour lui demander pourquoi il a refusé que son institution soit auditionnée par le Haut Conseil à l’égalité (HCE), chargé par Marlène Schiappa de rédiger un grand rapport sur ces violences.
La position du docteur Nisand tient en deux arguments principaux. Il y a d’une part le manque de moyens financiers, qui oblige le personnel médical à faire preuve d’efficacité, voire de précipitation, et qui laisse peu de place pour le dialogue.
Est d’autre part mise en avant cette réflexion si puérile consistant à affirmer que les gynécologues et obstétricien·nes se font traîner dans la boue et refusent d’être davantage victimes de ce qui est considéré comme une sorte de tribunal populaire.
En souhaitant défendre sa corporation, Israël Nisand en vient presque à nier que des femmes puissent souffrir physiquement ou mentalement durant leur accouchement et en conserver des séquelles. (...)
À propos des médecins, Ovidie ajoute : « Ils ont été odieux avec moi, particulièrement lorsque j’ai tourné en immersion dans un service. » (...)
Chasse aux sorcières
Le film montre que l’accouchement n’a pas attendu le XXIe siècle pour devenir un enjeu politique. Ovidie se penche notamment sur la méthode Lamaze, du nom de ce médecin-chef de la polyclinique des Bluets (dans le XIIe arrondissement de Paris), nommé en 1947.
À la faveur d’un voyage en URSS, où d’importants travaux ont très tôt été menés sur le lien entre accouchement et douleur, il étudie la psychoprophylaxie obstétrique, qu’il met en œuvre aux Bluets dès 1952.
Cette méthode « attribue la douleur à un puissant conditionnement socio-culturel », note la réalisatrice dans le film. En résumé, si les femmes souffrent autant durant l’accouchement, ce serait parce qu’on leur a enseigné depuis toujours qu’il leur fallait enfanter dans la douleur.
Le but est notamment de rendre les parturientes actrices de leur accouchement, là où elles n’étaient généralement que des spectatrices passives, en leur donnant suffisamment de clés de compréhension pour qu’elles parviennent à maîtriser chaque étape.
La méthode Lamaze a fait des émules, et notamment Max Ploquin, qui fonde en 1977 un établissement dédié à l’accouchement sans douleur à Châteauroux. À la polyclinique Montaigne, « la péridurale est quasi inexistante, le taux de césarienne n’excède pas les 3%, le taux de mortalité infantile figure parmi les plus bas de France », peut-on entendre dans le documentaire.
On aurait sans doute dû assister à une multiplication du nombre de cliniques construites sur ce modèle, mais l’hostilité d’une partie de la profession à l’égard du docteur Ploquin crée au contraire un effet de stigmatisation. En 1998, la clinique est contrainte de fermer, officiellement pour des raisons économiques. (...)
Le film donne l’impression frustrante que des solutions fiables existent, mais que c’est la profession elle-même qui se dresse en travers de la route, rassurée par le cadre médical et peu disposée à se remettre en question. (...)
La surmédicalisation de l’accouchement est aujourd’hui bien difficile à inverser. Une partie du personnel de santé ne cache pas son mépris pour les méthodes sortant du cadre ordinaire, lequel est pourtant loin de convenir à toutes les femmes. (...)
On peut espérer que les recommandations du Haut Conseil à l’égalité et que l’intérêt médiatique croissant pour les violences obstétricales puissent contribuer à faire évoluer les choses dans les années à venir pour que, sauf imprévu ou complication, chaque personne puisse accoucher dans des conditions qui lui conviennent et dans un climat d’écoute.
Peut-être faudrait-il aussi mieux penser la place du conjoint ou de la conjointe, qui tente généralement d’apporter son soutien moral mais se contente généralement d’assister à l’accouchement sans pouvoir se montrer utile. (...)
L’enjeu est de taille : il faut amener le parent B à s’impliquer davantage dans la grossesse, en faire un·e accompagnant·e de qualité, quelqu’un qui puisse réellement relayer la parole de la future mère et mettre le hola en cas de pratiques non consenties (...).