L’Assemblée nationale examine le 11 décembre une proposition de loi pour prévenir le suicide des agriculteurs. Une initiative saluée, malgré des réserves.
Un agriculteur se suicide chaque jour. Pour faire face à ce fléau, la proposition de loi visant à prévenir le mal-être et le risque suicidaire dans le monde agricole sera examinée le 11 décembre à l’Assemblée nationale, à l’occasion de la niche parlementaire du Parti socialiste. Portée par le député de Haute-Garonne Arnaud Simion, elle prévoit un renforcement des dispositifs de détection et d’accompagnement des agriculteurs les plus fragiles.
Première mesure, le renforcement et la généralisation des sentinelles agricoles. Créé en 2011 et coordonné par la Mutualité sociale agricole (MSA), ce réseau de bénévoles formés — retraités, conseillers, vétérinaires, membres d’organisations agricoles, etc. — est chargé de repérer les signes de détresse et d’orienter les agriculteurs vers les dispositifs d’aide. En 2024, plus de 5 000 de ces vigies étaient actives sur le territoire, mais pas toujours bien réparties (...)
Le texte prévoit aussi la création d’un guichet départemental unique donnant accès aux différents dispositifs d’aide et d’accompagnement. (...)
Enfin, serait créée une mission nationale « robuste, charpentée, avec des moyens dédiés », indique le député de Haute-Garonne : « Je loue le travail d’Olivier Damaisin [coordinateur national interministériel du Plan de prévention du mal-être en agriculture lancé en 2022], mais on ne peut objectivement pas traiter une question aussi importante avec trois équivalents temps plein. »
Précarité, pression accrue, épuisement moral...
L’enjeu est de taille. Cet été, la MSA alertait sur un risque suicidaire bien plus élevé dans ce secteur que dans le reste de la population (...)
Parmi les causes les plus évidentes, la précarité économique. (...)
Parmi les filières les plus fragiles, les maraîchers (24,9 % sous le seuil de pauvreté), les éleveurs ovins et caprins (23,6 %) et les éleveurs de bovins allaitants (21,5 %).
Pour pallier la faiblesse de ses revenus, près de 1 agriculteur sur 5 exerce au moins une activité en plus de son métier de paysan — avec la fatigue que cela peut représenter. Nécessité de produire plus, conjointe obligée de prendre un emploi à l’extérieur, explosion du temps de travail, effets dévastateurs des aléas climatiques et des fluctuations du marché… Les éleveurs rencontrés par Reporterre en 2024 étaient unanimes : c’est la galère. (...)
Mal-être en hausse
L’isolement social et géographique peut encore aggraver la situation. (...)
Les médecins, qui pourraient aider et accompagner, sont peu sollicités. « Les agriculteurs se tournent peu vers leur médecin généraliste, et encore moins vers les spécialistes. Ils essaient de résoudre leurs problèmes avec leur entourage proche, ou disent : “Je suis épuisé, j’ai trop de travail, mais ce n’est pas le médecin qui va traire mes vaches” », observe Anne Priour. Ce que confirment les chiffres de la MSA : 79 % des personnes décédées n’avaient pas consulté l’année précédant leur suicide. (...)
Ces problèmes de santé mentale se sont aggravés ces dernières années (...)
Une initiative saluée, malgré des réserves
Dans ce contexte, la proposition de loi d’Arnaud Simion est plutôt bien accueillie par les experts. La généralisation des sentinelles agricoles semble pertinente à Virginie Le Bris-Fontier, « dans la continuité des recherches montrant que les agriculteurs se confient plus facilement à des acteurs de proximité — techniciens, vétérinaires, comptables agricoles, voisins, etc. ». Quant au guichet unique, elle pourrait « accroître la lisibilité et la visibilité des dispositifs existants, et ainsi faciliter l’accès à l’aide ».
Côté secteur agricole, l’initiative est saluée, malgré quelques réserves. « C’est très bien. Mais lors de notre audition, nous avons beaucoup insisté sur l’importance d’un dispositif de prévention clair, neutre et pluriel, car il existe de nombreuses visions de l’agriculture. L’accompagnement ne peut pas reposer que sur les chambres d’agriculture ou la MSA, qui est l’organisme qui perçoit les cotisations. Il faut aussi garantir la confidentialité des situations », explique Jérôme Martinez-Garcia.
Le coordinateur national de Solidarité Paysans alerte sur le fait que certaines sentinelles, comme les conseillers bancaires, les membres des coopératives ou des chambres d’agriculture, pouvaient être parties prenantes des difficultés de l’agriculteur. Encore faut-il aussi que les moyens existent pour prendre en charge les agriculteurs dont on détecte le mal-être, alors que « la santé mentale dans les territoires est sinistrée, avec des fermetures de centres et de dispositifs ».
Car l’accompagnement des agriculteurs nécessite des moyens financiers.
Pourtant, fin novembre, la Confédération paysanne dénonçait la décision du gouvernement de diminuer « drastiquement » les dispositifs de soutien aux fermes en difficulté dans le projet de loi de finances 2026 : baisse de 80 % des crédits alloués à l’aide à la relance des exploitations (Area), diminution de l’aide à la cessation d’activité permettant d’accompagner les reconversions professionnelles et du fonds d’allègement de charges.
Enfin, il est crucial de s’attaquer aux causes structurelles du surrisque suicidaire, rappelle Jérôme Martinez-Garcia : « Il existe un enjeu capital sur la question du revenu, qui n’est pas prise en charge par la loi aujourd’hui. » (...)