
Si toutes les formations politiques rejettent une soumission stratégique de la France aux États-Unis de Trump, le fossé se creuse entre nationalistes et fédéralistes européens quant à la manière d’envisager le « nouveau monde » qui vient.
L’événement était déjà prévu de longue date, c’est peu dire qu’il a été percuté par l’actualité. Lundi 3 mars, trois jours seulement après la rencontre cauchemardesque entre Trump et Zelensky dans le bureau Ovale, l’après-midi consacré à l’Ukraine à l’Assemblée nationale a pris une tournure particulièrement solennelle et dramatique.
Entre inquiétudes face au brutal renversement d’alliance et volonté de faire revenir la France aux premières loges sur la scène internationale, toutes les familles politiques se sont succédé à la tribune pour évoquer la manière dont elles envisageaient la suite en ce moment vertigineux de basculement des équilibres planétaires. (...)
François Bayrou a ouvert la séance par un discours pour une fois précis et concis, et qu’il avait souhaité empreint de gravité. « Les choses s’accélèrent » depuis la « scène sidérante » de vendredi, a-t-il commencé, estimant que le « basculement de l’histoire [avait] libéré les démons endormis ». « Ce que nous avons brutalement découvert [vendredi – ndlr], c’est que nos alliés pouvaient avoir sur nous la même volonté de domination que chez les puissances auxquelles nous voulions résister. Nous ne sommes pas armés pour un temps où la loi est tenue pour négligeable », a-t-il constaté, regrettant l’ancien ordre international où « il y avait des garde-fous, des traités, des résolutions, des engagements. [Mais] tout ceci est fini ».
Fustigeant la « loi du plus fort » et « l’esprit de domination » promus par le président des États-Unis et rappelant ses sorties sur le Groenland ou Gaza, mais aussi ses annonces sur l’augmentation des droits de douanes qui plonge le monde « dans un climat de guerre commerciale », le premier ministre s’est placé dans une perspective gaullienne d’indépendance vis-à-vis des États-Unis : « Nous, les Européens, sommes plus forts que nous le pensons. Nous ne pouvons pas demander à d’autres de nous défendre à notre place ! »
« Si la Russie arrête de se battre, il n’y a plus de guerre ; si l’Ukraine arrête de se battre, il n’y a plus d’Ukraine », a quant à lui résumé Gabriel Attal, le président du groupe macroniste, qui a dénoncé « l’instinct capitulard » de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon, qui estimaient que la Russie ne ferait qu’une bouchée du pays de Zelensky. (...)
L’ode nationaliste de l’extrême droite
Retrouver la voix forte de la France dans ce monde sans repères. L’ambition a été partagée par tous les bancs de l’hémicycle, de l’extrême droite à la gauche insoumise. « Jamais le monde n’a eu autant besoin de la France », a à son tour insisté Marine Le Pen. Jugeant, à rebours de ses déclarations évasives du week-end, désormais « incontestable » la nécessité de soutenir l’Ukraine, elle a mis en garde contre une paix aux airs de traité de Versailles « contenant les germes de la guerre d’après ». (...)
Marine Le Pen a défendu un retour clair à la nation et s’est opposée autant à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne (UE) qu’à l’idée d’une « chimérique défense européenne » (...)
À gauche, le retour en sourdine des anciens clivages
Le débat a cependant dévoilé, une fois encore, des nuances, parfois même des divergences nettes traversant les gauches sur les réponses à apporter à cette situation nouvelle. La présence en tribune de Raphaël Glucksmann, tête de liste socialiste aux élections européennes de 2024, qui avaient été marquées par les fractures avec La France insoumise (LFI) sur les questions internationales, était là pour le rappeler. Avant la prise de parole du député insoumis Aurélien Saintoul, l’eurodéputé a pris le temps d’exprimer ses positions devant les journalistes, place du Palais-Bourbon. (...)
pour l’eurodéputé, c’est la construction d’une véritable défense européenne qui doit répondre à la gravité du moment (...)
Sur la même ligne, le président du groupe socialiste, Boris Vallaud, faisait écho à ses inquiétudes un peu plus tard dans l’hémicycle. (...)
En attendant que les prémices de cette stratégie voient le jour, le socialiste a insisté pour que les livraisons d’armes à la résistance ukrainienne ne cessent pas (...)
L’accusation de passivité de l’UE était aussi présente dans le discours de l’écologiste Cyrielle Chatelain (...)
Confirmant l’adieu au pacifisme des écologistes compte tenu d’une situation inédite, la présidente du groupe écologiste a annoncé le soutien de sa famille politique à « un engagement militaire et financier renforcé à destination de l’Ukraine ».
Ces positions contrastent avec celles de LFI et du Parti communiste français (PCF), qui ont fait entendre une voix différente sur ce sujet. Le député LFI Aurélien Saintoul a livré un discours à l’image du tropisme anti-atlantiste du mouvement qu’il représente. « J’imagine qu’on me reprochera de prendre ainsi le problème et de ne mentionner l’Ukraine que dans un second temps. Et pourtant, comment faire autrement ? », a-t-il convenu alors qu’il déplorait « une situation de dépendance à l’égard des États-Unis qui est critique ».
L’art de la diplomatie
Après avoir dénoncé « la guerre d’agression de M. Poutine » comme la menace que Trump et Vance font peser sur le droit international en se comportant comme « de vulgaires mafieux » – notamment en concluant un accord sur les minerais issus du sol ukrainien –, ses critiques se sont concentrées sur le pouvoir macronien.
« Vous n’avez pas été capables de créer un lieu de discussion où les belligérants auraient pu se retrouver. Vous avez fini par croire vos propres slogans et vous imaginez qu’il pouvait y avoir une issue militaire au conflit », a déclaré Aurélien Saintoul, fidèle à l’idée défendue depuis 2022 qu’il vaut mieux « agir pour la paix » qu’obtenir une victoire militaire totale de l’Ukraine avec le soutien massif des pays occidentaux. (...)
Il a été rejoint sur cette ligne en fin de journée par le communiste Jean-Paul Lecoq, qui prenait la parole pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) (...)
Ces débats avaient largement refroidi les relations à gauche pendant la présidentielle de 2022, qui s’était déroulée à l’ombre de la guerre en Ukraine. Le 3 mars, au Palais-Bourbon, alors que les bancs de l’Assemblée nationale se vidaient insensiblement au fur et à mesure des prises de parole, les députés semblaient encore déboussolés par une situation qu’aucun d’entre eux ne pouvait se targuer d’avoir prédite. (...)
« Notre soutien à l’Ukraine est plein et entier. Le peuple ukrainien se défend d’un occupant et son combat se fait au nom du droit international. C’est la justice et l’intérêt de la France que ce droit international prévale », a indiqué Aurélien Saintoul, sûrement conscient que les clivages d’hier pouvaient très vite se raviver. Sur la place du Palais-Bourbon, Raphaël Glucksmann a appelé de ses vœux une prise de conscience à la hauteur du moment : « Nous rentrons dans un nouveau monde, infiniment plus dangereux, qui exige des actions. Ce n’est plus le moment des mots. »