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Saül Karsz : « L’autorité n’est pas un problème »
#autorite
Article mis en ligne le 19 septembre 2024

Saül Karsz, sociologue et philosophe bien connu des travailleurs sociaux (et bien au-delà), président et fondateur du Réseau Pratiques Sociales, nous invite à repenser notre conception de l’autorité. Loin des lamentations sur sa prétendue « crise », il nous propose une analyse nuancée et stimulante de ce concept souvent mal compris. Qu’est-ce que l’autorité réellement ? Comment se manifeste-t-elle dans notre société et dans pratiques ? Pourquoi est-il important de la considérer comme une question complexe plutôt qu’une évidence ? Et agir en conséquence ! Un entretien réalisé avec l’aimable concours de Claudine Hourcadet.

(...) Bonjour Saül, vous semblez partir du principe que l’autorité est considérée aujourd’hui comme un problème ?

K : La question est de savoir qui a intérêt à la considérer comme un problème et de quoi ce problème est en fait le cache-sexe. C’est pourquoi je ne pars pas d’un principe, mais bien plutôt d’une déduction à partir des traitements actuels de la question de l’autorité. Traitements qui sollicitent l’autorité à tout bout de champ sans nullement la définir : sait-on de quoi on parle ? Sur quoi alors est-il question d’intervenir ? (...)

Impossible d’aborder ce sujet si soi-même, on n’est pas convaincu de sa complexité, de la multiplicité de ses registres (...)

Il apparaît que l’autorité est ce qui fait référence dans un domaine social, éducatif, familial, politique. Fait référence, installe un réglage plus ou moins instable des asymétries subjectives et objectives. L’autorité présuppose qu’il y ait différences sociales, politiques, de genre, de vocation, d’intérêts matériels et symboliques, différences qui ne sont pas toutes automatiquement antagonistes, irréconciliables. Mais toute autorité comporte un volet de contrainte violente plus ou moins nuancée, tempérée, pratiquée et/ou évoquée mais jamais-jamais absente. Ce qui n’implique pas non plus que toute autorité est acceptable ou qu’il faille s’y résigner… (...)

La véritable question, ce n’est pas celle de l’autorité, voire de l’Autorité, mais son genre, son fonctionnement, ses visées. Ceci dit entre parenthèses, une société sans asymétries – et par voie de conséquence sans autorité – n’a jamais existé et je ne vois pas comment ce serait possible. (...)

l’autorité suppose une dialectique entre contrainte, imposition, répression et en même temps autorisation et récompense. Pas une ou autre de ces caractéristiques mais toutes à la fois. Plus encore, avant d’être un rapport subjectif, comme beaucoup l’affirment, les affaires d’autorité sont des affaires d’imposition, avec ou sans l’accord des sujets qui peuvent par ailleurs souhaiter ou détester, aucunement l’Autorité, mais certaines de ses formes et de ses figures. Chercher à rétablir L’Autorité à l’école, dans la famille, dans la société, consiste en fait à instaurer certaines modalités et à refouler d’autres modalités. Pas d’option genre « l’Autorité ou le Chaos » mais différents exercices d’autorité, différents intérêts poursuivis, différentes ressources mis en œuvre, différents bénéficiaires, différentes victimes. Au point que plus d’une fois, le chaos résulte de certains exercices de certaines autorités… (...)

En même temps, l’autorité suppose des consentements subjectifs, terme rendu célèbre dans d’autres contextes. Il convient de préciser cependant que le consentement nomme un spectre (non un acte) qui va de l’adhésion à la résignation, de l’acquiescement assez libre et entier à l’opportunisme et à la panique.

Quel rôle jouent les expériences infantiles dans notre compréhension de l’autorité ? (...)

n’en déplaise à nos amis psy, l’enfance n’est certainement pas à l’origine de l’autorité, laquelle, au sein d’une famille, de la relation éducative ou ailleurs, se trouve elle-même façonnée, plus ou moins imbibée par des orientations politiques qui excèdent son espace scolaire ou familial immédiat.

Essentiel aussi de remarquer l’autorité comporte toujours des mises en question effectives ou possibles. Il n’y a jamais eu d’autorité sans contestation de l’autorité, quel que soit le système social, éducatif ou familial. Ce n’est donc pas un incident aléatoire, ni un indice de décomposition. La contestation de l’autorité est l’ombre portée de l’autorité réelle. (...)

Aucun groupe, institution ou société ne cherche à restaurer l’autorité tout court. C’est faux ! Il s’agit toujours de restaurer certaines autorités, avec certaines orientations, certains occupants, certains adversaires. Passer donc de la métaphysique de salon aux conditions socio-historiques de fonctionnement. (...)

La crise de l’autorité, dont on se lamente tant aujourd’hui, est plutôt la crise d’un fantasme selon lequel l’Autorité existerait en soi et pour soi, à part. Ce que l’on conteste aujourd’hui, ce n’est pas l’autorité, personne ne conteste une entité métaphysique. En revanche, il y a des contestations plurielles des figures d’autorité plurielles. Ce sont des figures d’autorité et ceux qui l’exercent, pas forcément exemplaires, qui sont contestés.

La crise de l’autorité, c’est plutôt l’opposition entre les tendances conservatrices et les tendances laïcisantes à visée démocratique, dans des sociétés occidentales. Ladite crise est éminemment social, politique, historique (...)

La contestation d’une autorité n’est jamais sans cause entendable, et à entendre au mieux. Ne pas trop se dépêcher de la justifier ou de la dénigrer – mais l’accompagner, tenter de la déchiffrer. Car les causes de la contestation de l’autorité ne logent jamais chez les seuls contestataires, mais aussi, peu ou prou, dans le fonctionnement même de l’autorité et de ceux qui l’incarnent. (...)

ne pas se soumettre à l’autorité n’est pas, par définition, un péché mortel, cela peut même être un péché mignon ! Il s’agit également de résister à la dépolitisation des questions d’autorité. Chaque fois qu’elle n’est pas politiquement adjectivée (conservatrice, à visée démocratique ou autre), elle est dépolitisée et donc renvoyée dans les limbes. À la fois inabordable et insoluble, mais bel et bien implacable dans le réel des institutions et des pratiques. À défaut d’adjectivation politique et idéologique, les figures d’autorité avancent masquées, soucieuses non pas de l’autorité mais juste de la leur. Et c’est là qu’autorité et autoritarisme se confondent. (...)

rendez-vous les 14, 15 et 16 octobre prochain à Villeurbanne (Lyon) pour les journées d’études et de formation de Pratiques Sociales qui sintitulent « Faire autorité aujourd’hui ? »