
Rentrée jeudi d’Israël dont elle a été expulsée après l’arrestation de la flottille pour Gaza, l’eurodéputée insoumise détaille à Mediapart les menaces et humiliations reçues en détention. Elle appelle la France à « tout faire » pour libérer les deux militants et le journaliste toujours retenus.
samedi 14 juin, Rima Hassan ne passe pas inaperçue. « Merci ! », lui lancent plusieurs client·es. Une avocate la salue, propose de l’aide au cas où. Jeudi 12 juin, l’eurodéputée La France insoumise (LFI) a été accueillie sous les vivats de la place de la République, où se tenait une manifestation parisienne pour la Palestine.
Comme neuf autres activistes, dont la militante du climat Greta Thunberg, Rima Hassan a été expulsée d’Israël après l’interpellation, par l’armée israélienne, de la flottille contre le blocus de Gaza, sur laquelle avaient embarqué douze membres le 1er juin. Trois d’entre eux, le Neérlandais Marco Van Rennes et les Français Pascal Mauriéras et Yanis Mhamdi, journaliste à Blast, sont toujours emprisonnés à la prison de Givon, près de l’aéroport de Tel-Aviv.
Dans un entretien à Mediapart, l’eurodéputée française, qui a grandi dans un camp de réfugié·es palestinien·nes, raconte l’arrestation nocturne de l’équipage dans les eaux internationales. Elle détaille les menaces reçues lors de sa détention et évoque l’élan de mobilisation initiée par cette action collective de désobéissance civile. Elle revient aussi sur l’attention médiatique autour de ses propos et de sa personne. « Je ne suis ni une icône ni un monstre », assure-t-elle. (...)
Rima Hassan : Je ne suis pas encore totalement remise. À la fois sur la dimension vraiment collective, militante, et du point de vue intime. Nous savions les risques que nous prenions. Dans le passé, des flottilles avaient atteint Gaza, d’autres avaient été interceptées comme la nôtre, avec derrière jusqu’à dix jours de prison. En 2010, il y a eu dix morts. Nous étions préparés aux différents scénarios.
La flottille a enclenché une grande mobilisation mondiale pour la Palestine, avec des manifestations en France, mais aussi une marche pour Gaza partie du Caire vendredi. Évoquons déjà la situation actuelle, ces frappes massives d’Israël contre l’Iran qui ont fait soixante-dix-huit morts, et la riposte de Téhéran qui a fait trois morts à Tel-Aviv. Une nouvelle escalade…
C’est toujours la même logique : Israël est dans une guerre quasi totale sur le plan régional avec des attaques contre la Syrie, contre le Liban, contre l’Iran, contre le peuple palestinien en Cisjordanie ou à Gaza. On assiste à une dérive absolue du régime de Nétanyahou. Pourtant, le seul moment où on a pu ramener le régime iranien à la table de négociation, où on a pu le contraindre, c’était par la voie diplomatique.
Benyamin Nétanyahou dit ce samedi qu’« Israël va débarrasser le monde de la menace nucléaire iranienne ».
Il se passe tout l’inverse. Depuis le retrait unilatéral en 2018 des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien signé trois ans plus tôt, l’Iran a eu une réponse plus agressive sur le plan international et s’est enfermé dans sa volonté de poursuivre le développement de son arme nucléaire. (...)
Emmanuel Macron a regretté les attaques et la suspension des négociations en cours, tout en se félicitant de la destruction de capacités nucléaires iraniennes. Il a aussi assuré que la France pourrait participer si nécessaire à la défense d’Israël. Qu’en pensez-vous ?
Avec ce soutien, la France tend à s’allier avec un régime qui a ouvert les hostilités. La question du nucléaire ne peut pas être traitée par le régime israélien à lui seul. Israël n’est pas le seul État menacé par le développement de l’arme nucléaire iranienne, les pays arabes s’en inquiètent aussi. C’est donc une question à poser avec des interlocuteurs et des observateurs internationaux, des agences dont c’est le rôle. La position de la France qui consiste à soutenir un régime israélien dont on connaît par ailleurs la dérive est extrêmement problématique. (...)
Le médecin Baptiste André qui était avec vous a parlé de dix bateaux, dont un de 40 mètres et de quatre- vingts soldats.
Oui. Il y a eu les drones, puis deux zodiacs sur chaque côté. Les soldats sont montés en pointant leurs armes sur nous, avec la petite lumière rouge... Yanis Mhamdi, le journaliste de Blast, en a fait tomber sa caméra. On a toutes et tous dû lever les mains.
Vous jetez aussi les téléphones dans l’eau sur instruction des soldats...
Nous avions les consignes de sécurité en tête : pas de provocation, pas de confrontation, répondre aux questions, etc. Nous avons mis nos mains en évidence.
Est-ce que vous vous êtes dit : nous pouvons mourir ?
Oui, bien sûr. Surtout au moment de l’attaque des drones : la flottille précédente a été attaquée par drone au milieu de la nuit, le navire avait pris feu. Quatre ou cinq drones volaient autour de nous. Et c’est difficile de distinguer si ce sont des drones d’attaque ou de surveillance. Nous avons eu peur que ce soit des drones d’attaques : notre petit navire aurait coulé. J’ai davantage eu peur de cette attaque éventuelle des drones que de la présence des soldats à bord. (...)
Les soldats sont à bord, vous n’arrivez dans le port d’Ashdod que le lendemain soir : vous restez une vingtaine d’heures sur le bateau. Baptiste André a raconté qu’il fallait parfois trois heures pour avoir un bout de pain, que Greta Thunberg a été privée de sommeil. Vous confirmez ?
Oui. On a été contraints de rester sur le pont toute la nuit. Il y a eu quelques images d’ailleurs, filmées par le ministère des affaires étrangères…
Des images filmées sous la contrainte, dit Baptiste André ?
Totalement. Ils nous encerclaient. Un soldat avait une caméra, sa mission était de filmer l’opération.
Avec des armes pointées sur vous ?
Oui. Et puis le reste du temps, ce n’était pas le cas : pendant qu’on essayait de dormir les uns sur les autres, les soldats se relayaient et dormaient dans nos cabines. Ils avaient investi nos lieux de vie.
La journée suivante, vous la passez dans le navire.
Oui, dans le petit salon en bas. Il faisait très chaud. On demandait à sortir un à un, quelques minutes. Ça nous a été refusé. Nous étions censés arriver beaucoup plus tôt dans le port d’Ashdod, avant la nuit. Mais une partie de la gauche israélienne, notamment le bloc radical de Tel-Aviv qui s’est beaucoup mobilisé pour nous, y compris plus tard devant la prison, nous attendait, ainsi que la presse internationale qui voulait des images de l’arrivée du bateau. Alors ils nous ont retenus sciemment jusqu’à la nuit pour nous débarquer et éviter la presse. On a fait des tours, c’était insupportable : on avait tous le mal de mer. (...)
En détention, vous et d’autres refusez de signer un document qui exige que vous reconnaissiez que le bateau était entré illégalement dans les eaux israéliennes. Omar Faiad, journaliste d’Al Jazeera qui était avec vous sur la flottille, dit que vous avez été menacée en ces termes : « Je vais t’écraser la tête contre le mur si tu ne signes pas. Et nous gérerons ça à notre manière. » Vous confirmez ?
Oui. À notre arrivée, le consul de France à Tel-Aviv, qui, et je tiens à le dire, a été très présent et attentif, s’est entretenu avec nous quelques minutes. Nous avons été mis dans une salle. Nous sommes passés un à un face à des autorités israéliennes, a priori des policiers, mais qui n’avaient pas d’uniforme. Ils nous ont demandé de signer ce document en nous disant : « Vous voulez partir rapidement ? »
À propos des menaces, j’en ai eu plusieurs. Celle que vous évoquez, lorsque j’ai refusé de signer le document. En parlant de moi, un autre policier a aussi dit en Turc à Suayb Ordu qui était avec nous sur le bateau : « Si ça ne tenait qu’à moi, je la tuerais. » Et quand j’ai refusé de donner mes empreintes, un troisième m’a menacée avec son poing [elle mime le geste, en portant son poing près de la joue – ndlr]. Il m’a dit : « Je peux te contraindre. » Je lui ai dit : « Vous voulez me frapper ? Allez-y. » Il était hors de question pour moi de baisser les yeux.
Dans la prison, il y avait quelque chose autour de moi en tant que Palestinienne. Je sentais une hostilité, par les mots, le ton, une surenchère de propos humiliants. Par exemple, j’ai écrit « Free Palestine » dans ma cellule. Je n’étais pas la seule, mais celle qu’ils ont embarquée, c’est moi.
Le directeur de la prison m’a menacée de faire sept jours à l’isolement. Je lui ai demandé pourquoi j’étais la seule concernée. Il m’a fait un signe qui voulait dire : « C’est comme ça, c’est toi. » On m’a baladée dans les couloirs avec les menottes aux poignets et aux pieds. À l’isolement, j’ai demandé un verre d’eau. Un des policiers est venu me voir, il m’a dit : « La Palestine n’existe pas hein ? » J’ai répondu : « Bien sûr qu’elle existe. » Il a dit : « Dommage. » Il est reparti avec un sourire. Je n’ai eu le verre d’eau qu’une heure et demie après.
Le marin Pascal Mauriéras, le journaliste de Blast Yanis Mhamdi et le militant néerlandais Marco Van Rennes sont à cette heure toujours en prison, à cause de l’interruption des vols depuis Israël. Il est à ce stade impossible de dire quand ils pourront rentrer. Que demandez-vous les concernant au gouvernement français ?
Il doit tout faire pour leur libération. De ce que je sais, il y a encore des négociations. L’urgence absolue, c’est leurs conditions de détention. Nous avions seulement vingt minutes de promenade par jour. Pascal a des médicaments à prendre, il a besoin d’un suivi médical. Yanis, dans la lettre qu’il a pu faire passer, parle de punaises : j’ai vu le bras, le ventre, le dos de certains d’entre nous remplis de piqûres de punaises.
Ils doivent pouvoir changer de cellule, avoir des livres, de quoi écrire. Dix rapporteurs spéciaux des Nations unies ont demandé aux différents pays d’intervenir pour garantir un passage sûr pour la flottille. Le ministère des affaires étrangères n’a jamais répondu.
Le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot a évoqué la « vacuité d’une opération de com » et en particulier les « gesticulations de Madame Hassan ». Comme le premier ministre François Bayrou, il a parlé d’une « instrumentalisation ». Votre réaction ?
C’est une honte. Nous sommes douze citoyens à avoir risqué notre vie dans une action militante qui se voulait symbolique, éminemment politique et qui était une réponse à leur vide politique à eux. Cette action contre le blocus à Gaza, elle existe depuis 2011, elle réunit vingt-deux ONG, elle est soutenue par les rapporteurs spéciaux de l’ONU, sans parler de Greenpeace, d’Amnesty International. Ça dépassait très largement le soutien politique de La France insoumise à la cause palestinienne. J’ai même eu le soutien de Ségolène Royal [sourires]. Donc oui, c’est une honte, parce que cette posture permet de camoufler leur inaction, voire leur complicité. (...)
Vous parlez de complicité de la France...
Bien sûr qu’il y a une complicité. 30 % des armes qui arrivent dans les mains du régime israélien proviennent de pays européens. Le risque à poursuivre cette politique, c’est de devoir rendre des comptes sur le plan de la complicité du crime de génocide. Nous ne sommes pas en dictature. En démocratie, on est censé se référer à cette boussole du droit international, et selon la Constitution, le chef de l’État est le garant des engagements internationaux de la France. C’est aussi ce que souhaite l’opinion, qui aujourd’hui est complètement opposée à la politique que mène Emmanuel Macron. (...)
Le retentissement médiatique autour de votre navire a relancé la mobilisation, en France, en Europe et dans le monde. En ce moment même, une marche pour Gaza, d’ailleurs réprimée par l’Égypte, s’est élancée du Caire. Assistons-nous à une bascule ?
Des gens se sont identifiés à celles et ceux qui étaient à bord de ce navire, par ailleurs engagés dans d’autres causes. Et oui, je pense qu’il y a une bascule. Cette action contre le blocus a remis au cœur de l’attention la question de la protection des droits humains. Parce que c’était très concret. Vous avez un bateau, douze civils qui veulent apporter de l’aide humanitaire et sont littéralement kidnappés dans les eaux internationales [des membres de la flottille partagent cette expression, d’autres non – ndlr]. Ça dépasse la simple dénonciation politique.
Vous avez affirmé que les prochaines flottilles étaient prêtes à partir.
Bien sûr. Elles sont là depuis 2011. Il y a une urgence, face à la famine et au génocide. (...)
je ne veux pas qu’on fasse de moi une pseudo icône, parce que je ne suis pas à la hauteur de ça. Je veux garder le droit à l’erreur, mes imperfections, mes coups de gueule, mes fautes politiques et humaines. Je suis très gênée par la glorification des individus. L’admiration, c’est un piège. C’est quelque chose que j’ai subi aussi, je ne l’ai pas particulièrement entretenue.
Je fais ma part. Je ne ferai pas carrière dans la politique. J’ai eu un travail avant, j’ai une vie très lambda, je suis très attachée à cette banalité. (...)