
Une proposition de loi visant à restreindre davantage le droit du sol à Mayotte devrait être votée jeudi à l’Assemblée nationale. Instaurées en 2019, les premières restrictions n’ont pourtant pas permis de diminuer l’immigration clandestine dans ce département français de l’océan Indien.
Supprimer petit à petit le droit du sol à Mayotte : de l’extrême droite au MoDem, l’idée est partagée par un vaste pan du spectre politique. Elle est même revenue en force à la faveur du passage dévastateur, le 14 décembre 2024, du cyclone Chido sur l’archipel. Le groupe de la Droite républicaine (parti Les Républicains) à l’Assemblée nationale présentera ainsi, jeudi 6 février, une proposition de loi pour restreindre davantage le droit du sol dans le 101e département français.
"Il s’agit de limiter au maximum l’attractivité de la nationalité française", a répété mardi 4 février le rapporteur du texte, Philippe Gosselin, lors d’une conférence de presse. Concrètement, le texte prévoit de durcir encore les conditions d’accès à la citoyenneté française, considérées par la droite comme la cause de l’immigration illégale à Mayotte, où la moitié de la population est étrangère, selon l’Insee. (...)
à Mayotte, le droit du sol a déjà été modifié par une loi votée en septembre 2018 et entrée en vigueur le 1er mars 2019. Celle-ci stipule qu’un enfant né à Mayotte de parents étrangers ne peut devenir français que si, au moment de la naissance, l’un des deux parents "résidait en France de manière régulière, sous couvert d’un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois".
Le texte du parti Les Républicains (LR), qui a été adopté en commission le 29 janvier, vise à étendre ces conditions aux deux parents et à allonger la période de résidence sur le territoire français de trois mois à un an.
Des migrations davantage liées à des raisons économiques
Pourtant, aucune étude d’impact n’a été menée depuis la mise en application des premières restrictions au droit du sol à Mayotte qui pourrait confirmer leur intérêt. Et les chiffres à disposition tendent plutôt à montrer leur inefficacité. (...)
les personnes venant des Comores ou fuyant les pays de la région des Grands Lacs en Afrique le font, pour les premiers, pour échapper à la misère et à l’insécurité, pour les seconds pour fuir des situations de persécution ou de violences généralisées", explique Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3 et membre de l’Institut Convergences Migrations. (...)
"Il s’agit de populations en situation d’extrême pauvreté et d’extrême précarité qui voient Mayotte comme un eldorado. Face à des contraintes économiques très fortes, ces populations réagissent dans l’urgence et non en réfléchissant au fait que leurs futurs enfants pourraient devenir français dans 15 ans", ajoute Marie-Laure Basilien-Gainche.
Une analyse d’ailleurs corroborée par la gendarmerie française. (...)
Utiliser Mayotte comme un "laboratoire"
L’histoire et la situation géographique de Mayotte, qui fait partie de l’archipel des Comores, est aussi à prendre en considération pour comprendre le grand nombre d’étrangers en situation illégale, selon la spécialiste des migrations. "Il y a quatre îles, dont une seulement est française, mais il s’agit bien d’une unité géographique dans laquelle existent des relations ancestrales caractérisées par le partage d’une même langue, d’une même religion, de relations familiales et de liens communautaires. Il y a donc depuis toujours des mouvements de population entre ces îles. Or, au lieu de laisser les Comoriens venir à Mayotte librement, l’obligation d’obtenir un visa depuis 1995 les a fait basculer en situation irrégulière et a eu tendance à les fixer sur le territoire mahorais", juge Marie-Laure Basilien-Gainche.
"C’est la politique très restrictive autour des visas qui a conduit un plus grand nombre de gens à rester sur place à Mayotte, quand ils ne faisaient que passer sur l’île sans y rester auparavant" (...)
Le texte présenté par Les Républicains, qui devrait obtenir une majorité à l’Assemblée nationale, sert en revanche une stratégie clairement exprimée. "Dans notre esprit, évidemment, l’objectif est que Mayotte soit la première étape et ensuite, pour nous, l’idée c’est d’étendre ces restrictions sur le reste du territoire français", a ainsi affirmé mardi le patron du parti et du groupe à l’Assemblée nationale, Laurent Wauquiez.
"Il s’agit de se servir de Mayotte comme d’un laboratoire. On va développer une expérimentation dans un territoire loin des regards, loin de la vigilance des citoyens, avant de tenter de l’étendre aux départements de la métropole", constate Marie-Laure Basilien-Gainche, qui rappelle que le droit du sol "fait partie de notre ADN et est un principe majeur de la République française".