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là-bas si j’y suis/Daniel Mermet
(RE)LIRE ORWELL
#Orwell #1984
Article mis en ligne le 12 août 2024
dernière modification le 8 août 2024

Une nouvelle traduction de « 1984 », de George Orwell, aux éditions Agone. Entretien avec Thierry Discepolo

George Orwell et les travers de porc ont ceci en commun qu’on peut les accommoder à toutes les sauces. Le Figaro, Marianne, L’Expansion, Causeur, Valeurs actuelles, chacun sa petite recette. Entre un numéro sur « le spectre islamiste » et un autre nous apprenant « comment la CGT ruine la France », le magazine Le Point nous aguiche avec, en couverture : « Orwell, le penseur qui va vous libérer » [1]. Jusque dans l’indispensable Journal de Béziers, le maire de la ville, le souriant Robert Ménard, qui se réclame de l’auteur de Mille neuf cent quatre-vingt-quatre. Sans parler d’un très souverainiste « comité Orwell », requalifié « orwellien » suite à la protestation des ayants droits.

Si chacun tire la couverture à soi et dénonce les impostures des autres, toutes ces nuances de droite partagent une même certitude : Orwell se disait de gauche, en fait il était de droite mais il était obligé de le cacher. Orwell à toutes les sauces, mais surtout contre la gauche.

Pourtant, dès juin 1949, lorsque paraît Mille neuf cent quatre-vingt-quatre, Orwell s’était donné avant de mourir la peine de préciser : « mon roman n’a pas été conçu comme une attaque contre le socialisme ou contre le parti travailliste britannique (dont je suis un sympathisant) mais comme une dénonciation des perversions auxquelles une économie centralisée peut être sujette (…) ». « Cette tendance s’enracine dans les fondations politiques sociales et économiques de la situation mondiale contemporaine » et réside dans « l’acceptation d’une manière de voir totalitaire par les intellectuels de toutes les couleurs (…). L’action du livre se déroule en Grande-Bretagne pour souligner que les peuples de langue anglaise ne sont pas par nature meilleurs que les autres, et que le totalitarisme, S’IL N’EST PAS COMBATTU, pourrait triompher partout. [2] »

Mais rien n’y fait. (...)

C’est surtout chez les intellectuels que « les idées totalitaires ont partout pris racine », insiste Orwell, en leur opposant la « common decency », c’est-à-dire un certain sens moral chez les gens ordinaires. Voilà de quoi froisser notre bourgeoisie culturelle de la gauche molle comme de la gauche dure, qui partage l’absolue certitude d’être protégée de cet « esprit totalitaire » grâce au bouclier de son capital culturel et de ses titres de noblesse universitaire. Anti-intellectualisme et populisme, Orwell fut habillé pour un long hiver culturel chez ceux qui se sont investis d’une mission civilisatrice de rééducation des populations dangereuses. (...)

Pour écrire Mille neuf cent quatre-vingt-quatre, il s’inspire des années 1930, de l’effondrement des pays occidentaux suite à la Grande dépression, qui entraîne la Seconde guerre mondiale suivie de la guerre froide. Aujourd’hui, la crise écologique globale annonce des ébranlements au moins comparables. Et les asservissements aux régimes qui ont engendré les catastrophes d’hier ressemblent à notre asservissement aux régimes techno-capitalistes d’aujourd’hui.

Le soixante-dixième anniversaire de la mort d’Orwell permet de libérer les droits d’auteur et entraîne de nouvelles éditions. Dans la postface d’une nouvelle traduction, les éditions Agone rappellent l’avertissement d’Orwell au moment de la parution de Mille neuf cent quatre-vingt-quatre : « la morale à tirer de ce dangereux cauchemar est simple. Ne permettez pas qu’il se réalise. Cela dépend de vous. »

A voir ou à écouter en podcast :
entretien de Daniel Mermet avec Thierry Discepolo, fondateur des éditions Agone, auteur avec Celia Izoard d’une postface à la nouvelle édition de Mille neuf cent quatre-vingt-quatre (Agone, 2021).