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Mediapart - le club
« racisme d’Etat »
« Les Roms, et qui d’autre ? »
Article mis en ligne le 20 février 2012
dernière modification le 16 février 2012

« Racisme d’Etat » et « racisme intellectuel "de gauche" » concourent ensemble à « l’amalgame entre migrant, immigré, arriéré, islamiste, machiste et terroriste », expliquait le philosophe Jacques Rancière, samedi 11 septembre à Montreuil (93), lors du rassemblement « Les Roms, et qui d’autre ? » Mediapart publie ici sa contribution.

Je voudrais proposer quelques réflexions autour de la notion de « racisme d’Etat » mise à l’ordre du jour de notre réunion. Ces réflexions s’opposent à une interprétation très répandue des mesures récemment prises par notre gouvernement, depuis la loi sur le voile jusqu’aux expulsions de roms. Cette interprétation y voit une attitude opportuniste visant à exploiter les thèmes racistes et xénophobes à des fins électoralistes. Cette prétendue critique reconduit ainsi la présupposition qui fait du racisme une passion populaire, la réaction apeurée et irrationnelle de couches rétrogrades de la population, incapables de s’adapter au nouveau monde mobile et cosmopolite. L’Etat est accusé de manquer à son principe en se montrant complaisant à l’égard de ces populations. Mais il est par là conforté dans sa position de représentant de la rationalité face à l’irrationalité populaire.

Or cette disposition du jeu, adoptée par la critique « de gauche », est exactement la même au nom de laquelle la droite a mis en œuvre depuis une vingtaine d’années un certain nombre de lois et de décrets racistes. Toutes ces mesures ont été prises au nom de la même argumentation : il y a des problèmes de délinquances et nuisances diverses causés par les immigrés et les clandestins qui risquent de déclencher du racisme si on n’y met pas bon ordre. Il faut donc soumettre ces délinquances et nuisances à l’universalité de la loi pour qu’elles ne créent pas des troubles racistes.

C’est un jeu qui se joue, à gauche comme à droite, depuis les lois Pasqua-Méhaignerie de 1993. Il consiste à opposer aux passions populaires la logique universaliste de l’Etat rationnel, c’est-à-dire à donner aux politiques racistes d’Etat un brevet d’antiracisme. (...)

J’avais proposé, il y a une quinzaine d’années, le terme de racisme froid pour désigner ce processus. Le racisme auquel nous avons aujourd’hui affaire est un racisme à froid, une construction intellectuelle. C’est d’abord une création de l’Etat.
(...)

De là un usage de la loi qui remplit deux fonctions essentielles : une fonction idéologique qui est de donner constamment figure au sujet qui menace la sécurité ; et une fonction pratique qui est de réaménager continuellement la frontière entre le dedans et le dehors, de créer constamment des identités flottantes, susceptibles de faire tomber dehors ceux qui étaient dedans. Légiférer sur l’immigration, cela a d’abord voulu dire créer une catégorie de sous-Français, faire tomber dans la catégorie flottante d’immigrés des gens qui étaient nés sur sol français de parents nés français. Légiférer sur l’immigration clandestine, cela a voulu dire faire tomber dans la catégorie des clandestins des « immigrés »légaux. C’est encore la même logique qui a commandé l’usage récent de la notion de « Français d’origine étrangère ». Et c’est cette même logique qui vise aujourd’hui les roms, en créant, contre le principe même de libre circulation dans l’espace européen, une catégorie d’Européens qui ne sont pas vraiment Européens, de même qu’il y a des Français qui ne sont pas vraiment Français. (...)

Il serait peut-être temps de réorienter la pensée et le combat contre une théorie et une pratique de stigmatisation, de précarisation et d’exclusion qui constituent aujourd’hui un racisme d’en-haut : une logique d’Etat et une passion de l’intelligentsia.
(...)

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