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Quand la lutte contre le pétrole renforce le combat féministe
#Equateur #femmes #feminisme #extractivisme #petrole
Article mis en ligne le 19 octobre 2025
dernière modification le 16 octobre 2025

Enfermées dans une société sexiste qui les cantonne au foyer, des femmes autochtones de l’Équateur ont réussi à s’émanciper. Ce, grâce au passé militant de leur communauté, qui a fait plier l’industrie pétrolière.

Attablées avec de l’argile grise dans leurs mains, rapportée de la rivière, des femmes « tissent la boue », autrement dit : elles façonnent des céramiques. Elles enroulent un à un les colombins d’argile pour former les bols, les pots et les jarres qui contiendront la chicha, une boisson traditionnelle fermentée à base de manioc, de maïs ou de palmier-pêche. « Il y a quinze ans, on n’aurait pas pu voir cet atelier », affirme Yadira Sharupi, femme shuar de la communauté de Consuelo : les maris « jaloux et possessifs » n’auraient jamais accepté que leur femme délaisse leurs tâches ménagères.

Une vingtaine de femmes indigènes shuar participent à cet atelier d’une semaine dans la communauté d’Etsa, dans la province équatoriale de Pastaza. Objectif : s’émanciper des hommes, notamment en développant leur lien fort à la terre. « C’est bien de se former à cette technique [de modelage], ça nous permettra de gagner un peu d’argent en vendant nos productions. En même temps, on réapprend un savoir-faire pour sauver notre culture », explique Yadira Sharupi.

La vie des femmes indigènes est encore trop souvent marquée par le machisme. « Les femmes ont un lien quotidien avec le territoire, tandis que les hommes sont plus souvent absents, car ils vont davantage étudier ou travailler en ville », analyse l’anthropologue Sofia Cevallos, qui travaille avec les femmes de la communauté kichwa Pakayaku. (...)

Certaines subissent des violences verbales, physiques, sexuelles dont elles ont du mal à parler du fait de leur isolement.

Dans l’atelier de céramique, au fur et à mesure que la journée avance, les femmes issues des onze communautés du pays apprennent à se connaître. La timidité cède la place aux rires, les langues se délient. Yadira Sharupi s’exprime sans peur. « Les hommes se rendent compte qu’on peut aussi participer à l’économie familiale en vendant notre artisanat. L’argent servira à payer les études de nos enfants », explique celle qui tient les cordons de la bourse familiale. Les hommes, eux, sont souvent critiqués pour dépenser toute leur paie dans les bars. (...)

« Quand les femmes autochtones parlent, ce n’est jamais sur leur cas individuel. Il y a toujours une vision collective », explique l’anthropologue Sofia Cevallos. Elles agissent pour leurs enfants, mais aussi au nom des générations précédentes. « Elles se réfèrent aux violences subies par leurs ancêtres et cela induit une forme de résistance. » (...)

Catalina Chumbi a aussi porté la voix des peuples d’Amazonie lors de la COP28 aux Émirats arabes unis, en 2023, « pour défendre nos vies, nos droits, notre territoire, nos rivières ». Elle souligne, fièrement : « Jusqu’à aujourd’hui, l’extractivisme n’a pas pénétré nos terres. » (...)

Un passé militant

Cette quête d’égalité des genres découle directement de leur lutte contre l’extractivisme. Contrairement à d’autres provinces amazoniennes, celle de Pastaza est relativement épargnée par l’extraction pétrolière, elle compte « seulement » une exploitation active sur les seize blocs pétroliers cartographiés par l’État. Une situation que la chercheuse Sofia Cevallos explique par le passé militant de ses habitants.

Dans les années 2000, la bataille victorieuse de la communauté kichwa de Sarayaku contre l’entreprise pétrolière CGC a fait annuler un projet d’exploitation. Par la suite, les communautés voisines se sont opposées à des projets similaires. La forte mobilisation de Sarayaku et des communautés alentour a donné naissance au collectif Mujeres amazonicas (Femmes amazoniennes), un groupe multiethnique de protection de la nature, de défense des droits des femmes, dénonçant l’extractivisme pétrolier. La voix de certaines d’entre elles est médiatisée à l’international. (...)

Cette résistance aux pressions du monde extractiviste est d’autant plus cruciale que les femmes en sont particulièrement victimes. Sofia Cevallos a travaillé avec des communautés victimes de l’extraction pétrolière dans le parc national de Yasuni, dans le nord du pays. Elles subissent les effets de la pollution en allant chercher l’eau à la rivière, sont touchées par des maladies liées à cette contamination. Elles souffrent aussi de la militarisation du territoire (visant à protéger les infrastructures pétrolières), qui crée « une menace permanente sur le corps des femmes » décrite par l’anthropologue Astrid Ulloa. Le forage d’un puits pétrolier a engendré aussi la création de petits commerces pour les travailleurs, dont une discothèque. La prostitution a fait son arrivée, des femmes sont tombées enceintes puis ont été abandonnées. L’alcoolisme fait aussi des ravages.

Autant de dommages qui incitent les femmes de Pastaza à résister. (...)

Le « bien-vivre » (« sumak kawsay » en kichwa), concept autochtone, implique un vivre-ensemble en harmonie avec tous les êtres, humains comme non-humains, de la forêt. « Sans territoire, pas de peuple et sans peuple pas de territoire », résume l’anthropologue équatorienne Sofia Cevallos. (...)