
De la Namibie coloniale à la Palestine d’aujourd’hui, une même logique traverse l’histoire : éliminer un peuple pour s’approprier la terre. Ce colonialisme d’extermination, théorisé par Wolfe et dénoncé par Lemkin, n’appartient pas au passé. À Gaza, il se poursuit au grand jour, avec ses auteurs et ses complices.
Un colonialisme qui ne vise pas à dominer mais à effacer
Le colonialisme d’extermination désigne une forme de domination coloniale qui ne vise pas seulement à exploiter les territoires conquis, ni à subordonner les populations locales, mais à les effacer matériellement et symboliquement, jusqu’à la disparition physique des groupes concernés et de leur mémoire. Dans la littérature théorique, ce concept est proche du « settler colonialism » (Patrick Wolfe), dont la logique fondamentale est l’élimination des autochtones pour installer une nouvelle société ; Wolfe formule que « l’invasion est une structure, non un événement » (Settler colonialism and the elimination of the native).
Wolfe, Lemkin, Mbembe, Arendt : penser l’extermination
Sur le plan théorique, il faut articuler ce concept à la notion de génocide telle que formulée par Raphael Lemkin dans La domination de l’Axe en Europe occupée, où l’extermination peut être physique, biologique ou culturelle, dès lors que l’objectif est l’anéantissement d’un peuple. Achille Mbembe (Nécropolitique ; Politiques de l’inimitié) propose d’analyser ce processus comme une politique de mise à mort (« nécropolitique »), où la colonisation s’autorise à créer des espaces où certaines vies ne comptent pas et peuvent être supprimées sans limites. Hannah Arendt (Les origines du totalitarisme) a repéré dans l’impérialisme colonial un laboratoire de techniques d’élimination ultérieurement réinvesties par les régimes totalitaires européens.
Namibie, Tasmanie, Amériques, Australie : laboratoires de l’anéantissement
Historiquement, plusieurs cas emblématiques relèvent de ce modèle. Le génocide des Herero et Nama en Namibie (1904-1908), orchestré par l’Allemagne impériale, est un des premiers exemples modernes : massacres systématiques, déportations dans le désert, camps de concentration, travaux forcés et taux de mortalité extrême. L’extermination des peuples autochtones d’Amérique du Nord et d’Australie illustre également cette logique (...)
D’autres contextes contemporains montrent la persistance de cette logique : la politique israélienne en Palestine, analysée par Ilan Pappé (Le nettoyage ethnique de la Palestine), repose sur une stratégie d’expulsion, de destruction des villages, de fragmentation territoriale et de privation de ressources qui s’apparente à une logique d’élimination. De même, les peuples autochtones d’Amazonie ou du Chittagong Hill Tracts au Bangladesh subissent encore aujourd’hui des violences d’État et de colons visant à réduire leur existence matérielle.
Le colonialisme d’extermination se distingue du colonialisme d’exploitation (mines, plantations, esclavage) où la survie de la main-d’œuvre colonisée était fonctionnelle. Ici, au contraire, la présence des populations colonisées est perçue comme obstacle permanent au projet colonial, qui ne peut se réaliser qu’en effaçant l’autre. Wolfe parle ainsi d’une « logique de l’élimination » qui peut prendre des formes multiples : massacres directs, déportations, assimilation forcée, destruction des modes de vie.
Gaza : le présent d’un crime de masse (...)
L’État d’Israël, dirigé par Benjamin Netanyahu et ses ministres d’extrême droite, mène un projet d’anéantissement qui s’inscrit dans la longue durée de l’idéologie coloniale.
Les complices sont connus : Trump et son administration républicaine qui promettent un soutien illimité, un axe européen qui va de l’extrême droite jusqu’à des éléments de la démocratie sociale, en passant par la droite et les néolibéraux, qui se rangent derrière l’agresseur au nom d’une prétendue solidarité occidentale (avec l’exception de l’Irlande ou l’Espagne). Les mesures annoncées par le régime français ou l’UE sont non seulement dérisoires, mais encouragent le génocide.
Les morts s’entassent, les survivants sont condamnés à la destruction lente, ce n’est plus une guerre mais un crime de masse en temps réel. Ceux qui taisent ou relativisent cette réalité en sont les complices devant l’histoire. L’histoire nommera un jour ce qu’ils sont : les soutiens idéologiques, politiques, militaires et financiers d’un génocide.
Amnesty International
Pétition Génocide à Gaza : la France doit mettre fin à l’impunité d’Israël