Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Melenchon/Entretien avec Pierre Joigneaux du site « L’Insoumission »
Qu’est-ce que la créolisation ? – Entretien avec « L’Insoumission »
#LFI #creolisation
Article mis en ligne le 6 février 2025
dernière modification le 2 février 2025

En septembre 2020 vous vous êtes approprié le concept de créolisation. Est-ce par une découverte des écrits d’Edouard Glissant sur ce thème ?

L’euro-député insoumis Younous Omarjee m’a fait redécouvrir le poète martiniquais Édouard Glissant à cette période. Je l’avais déjà lu il y a longtemps mais sans percevoir toute la portée du concept de créolisation. Il décrit à partir de l’histoire singulière des outremers français et de leur mélange forcé de populations, un processus finalement universel. Le mot désigne ce que produit dans une société la créativité de l’invention permanente qui résulte de la rencontre de culture différentes présentes en son sein.

La créolisation, par essence, apporte une nuance à l’universalisme que vous avez longtemps défendu par le passé. Faut-il y voir une évolution de votre pensée ?

Non. La créolisation n’est pas une nuance à l’universalisme. Elle en est au contraire le chaînon manquant entre la diversité du réel et la similitude fondamentale des êtres humains. L’universalisme auquel je me réfère depuis toujours est celui des droits. Les êtres humains sont tous égaux car ils ont tous les mêmes besoins. Ils doivent par conséquent avoir les mêmes droits. Cette revendication d’égalité, je ne l’ai jamais abandonnée. Elle est au cœur du programme L’Avenir en Commun dont je suis le candidat. La créolisation complète cet universalisme sans l’annuler. Elle est l’universalisme culturel. La créolisation est une alternative au modèle de la société segmentée à l’américaine et à celui de la culture dominante qui demande la soumission de toutes les autres.
Tentez-vous, ainsi, de concilier l’universalisme des Lumières et le droit à la différence ? Ou bien actez-vous l’échec de l’universalisme à la française ?

Ma position est claire : pas de droit à la différence s’il s’agit d’une différence de droits. L’universalisme c’est d’abord les mêmes droits et donc la même loi pour tous. (...)

Être français en République c’est adhérer au programme « liberté, égalité, fraternité » et respecter la loi. L’universalisme de la Révolution française permet à la France d’être un pays créolisé.

L’électorat LFI est divers, et se compose de Républicains « classiques » et de partisans de la nouvelle pensée antiraciste ? Ne tentez-vous pas d’unir ces deux franges a priori opposées ?

Je refuse cette division absurde. L’antiracisme ne ferait pas parti du corpus républicain « classique » ? Ceux qui se battent davantage contre les militants antiracistes que contre les racistes sont de mon point de vue de faux républicains. Le racisme décrit les êtres humains comme enfermés dans des caractéristiques soi-disant biologiques. La créolisation au contraire les décrit comme des êtres de culture et reconnaît leur capacité permanente d’invention et de création. (...)

L’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre l’antisémitisme ou le racisme sont l’affaire de la loi. Elle doit être implacable dans ces domaines. Les racistes, les extrémistes religieux, l’extrême-droite ont tous peur de la créolisation car elle remet en cause leur vision étriquée des sociétés humaines. La créolisation est le contraire de l’uniformisation ou de la ségrégation : c’est un principe de liberté. (...)

La créolisation est avant tout un état de fait. Elle décrit la vie elle-même. Nous, les êtres humains, nous réinventons sans cesse dans nos relations avec les autres. La créolisation n’est pas autre chose. Qui veut combattre la créolisation comme monsieur Zemmour perd son temps. Interdira-t-il aux gens de s’aimer ? Aux Français de manger du couscous et de la pizza ? Aux musiciens de créer à partir d’influences du monde entier ? La France est créolisée et n’a pas à avoir honte d’elle-même. (...)

La créolisation ne détruit pas, elle construit. Personne, et surtout pas moi, n’a proposé de faire table rase de Victor Hugo, de nos fromages ou de la baguette de pain pour les remplacer par autre chose ! Tout ceci relève du fantasme. Je vois bien une « déconstruction de la société française » mais qui tient à bien d’autres choses. Le peuple français est construit autour de son État, de son unité sociale et de son contrat politique inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Aujourd’hui, le libéralisme disloque en effet la société française dans la société des privilèges, le démantèlement de l’État et l’autoritarisme. Pour vraiment lutter contre la « déconstruction de la société », il faut s’attaquer à ces maux. La créolisation, au contraire, nous unit. Elle nous rapproche, nous empêche de rester enfermés dans des cases hermétiques.