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Projet “Normandy Memory” : plus de 80 historiens dénoncent une “marchandisation de l’Histoire”
#Histoire #NormandyMemory
Article mis en ligne le 20 juillet 2024
dernière modification le 18 juillet 2024

Un mois après la commémoration des 80 ans du 6 juin 1944, des historiens s’opposent à la mise en place de ce “Puy-du-Fou du Débarquement”. Parmi eux, Christophe Prochasson, qui explique les raisons de cette tribune.

Présenté comme un « grand spectacle historique » par ses promoteurs, le projet Normandy Memory est à nouveau sous le feu des projecteurs. Déjà critiqué par l’Association des professeurs d’histoire et de géographie, par des spécialistes de la Seconde Guerre mondiale et des descendants de soldats français débarqués en Normandie, ce théâtre mouvant, destiné à offrir aux spectateurs une expérience « immersive » du Débarquement à grand renfort d’effets spéciaux et de comédiens, est aujourd’hui la cible d’une pétition signée par plus de quatre-vingts historiens et parue sur le site du Point. Ceux-ci dénoncent une « théâtralisation » de l’Histoire au mépris de la rigueur scientifique et un détournement de l’enjeu mémoriel au profit d’intérêts économiques.

Dirigée par Richard Lenormand, soutenue par le maire de la commune et par la Région Normandie, l’implantation du parc est en effet prévue d’ici à 2027 sur un ancien site industriel à Colombelles, à quelques kilomètres de Caen et du Mémorial du 6 juin, pour un public attendu de six cent mille spectateurs par an. Entretien avec l’historien Christophe Prochasson, signataire de la tribune. (...)

En tant qu’historien, pourquoi vous opposez-vous à ce projet ?

« Je m’interroge sur cette manière de mettre en spectacle l’Histoire, de la commercialiser, au risque de heurter les familles de descendants de soldats, et notamment des membres du commando Kieffer. Plus largement, je suis gêné par le fait de réduire l’Histoire à une série d’émotions. Dans ce projet, on est en quelque sorte écrasé par la sentimentalité, que ce soit l’indignation ou l’enthousiasme que peut susciter l’héroïsme. Ce sont des passions légitimes, effectivement à l’œuvre lorsqu’on assiste au grand spectacle de l’odyssée humaine, mais jouer uniquement sur ces ressorts spectaculaires me semble très réducteur au regard du rôle de l’Histoire, qui est avant tout une occasion pour chacun de réfléchir à ce que deviennent les sociétés. » (...)

Il existe par ailleurs déjà beaucoup de matériaux pédagogiques de grande qualité : le Mémorial de Caen est, par exemple, un dispositif tout à fait intéressant et efficace, en relation étroite avec le monde enseignant, qui pourrait souffrir de la concurrence de ce nouveau projet.

Est-il possible d’amender et d’améliorer ce projet ?
Bien sûr, mais encore faut-il que ceux qui le portent acceptent d’entendre les critiques. J’irai cependant plus loin : il existe dans toute la Région Normandie un large réseau de petits musées et de dispositifs mémoriels, souffrant souvent de manque de moyens. La Région n’aurait-elle pas plutôt intérêt à s’emparer de ce dossier et à réfléchir démocratiquement à la manière d’améliorer le tissu muséal plutôt que de faire des opérations publicitaires et du grand spectacle ? Je pense qu’il faut injecter de l’argent là où les choses existent, plutôt que de créer une sorte de Puy-du-Fou du Débarquement. (...)

C’est, à ce jour, la plus grande mobilisation d’historiens critiques du projet. (...)

Plus largement, la tribune invite chacun et chacune à réfléchir à ce que signifie entretenir la mémoire, et aux outils qui le permettent. Peut-être que ce débat pourrait être élargi au-delà des sphères spécialisées, et impliquer des enseignants ou des associations citoyennes.