
Le Sénat a adopté jeudi 30 mai une proposition de loi venue de l’Assemblée nationale, et visant à limiter l’utilisation des substances per- et polyfluoroalkylées. Porté par les écologistes, ce texte a trouvé un large consensus après les modifications apportées durant l’examen en commission, puis dans l’hémicycle.
(...) Il prévoit d’interdire de manière graduée, à partir de 2026, la fabrication, l’importation et la mise sur le marché de nombreux produits du quotidien contenant ces substances chimiques dont la dégradation dans l’environnement peut s’étaler sur plusieurs années. Mais la Chambre haute, sous l’impulsion de la majorité LR et centriste, a voulu apporter diverses dérogations au texte élaboré par les députés, et ce afin de limiter l’impact socio-économique d’une restriction généralisée.
« Vous êtes contaminés, nous sommes tous contaminés ! »
« La pollution causée par ces molécules constitue pour l’heure un immense iceberg dont la taille et la dangerosité sont probablement sous-estimées », a expliqué le rapporteur centriste Bernard Pillefer à la tribune. Les « polluants éternels » représentent une famille de 4 000 à 12 000 substances différentes, caractérisées par leur grande volatilité et leur capacité de résistance.
Employés depuis le milieu du XXe siècle par l’industrie, les PFAS sont utilisés dans la fabrication des revêtements antiadhésifs des ustensiles de cuisines, ils interviennent dans la conception des tenues ignifugées des pompiers, des membranes qui protègent les batteries électriques ou utilisés comme agent réfléchissant pour l’élaboration de certaines peintures. On en trouve également dans les produits de fartage qui servent à l’entretien des skis et des snowboards, et même dans les cosmétiques. (...)
On estime ainsi que 40 % de la population française est contaminé par sept PFAS et 100 % par deux PFAS », a encore relevé Bernard Pillefer. Parmi les pathologies qu’ils sont suspectés de favoriser : le cancer des reins, l’hypertension et une diminution de la réponse du système immunitaire à la vaccination. (...)
« Il a fallu attendre 25 ans après le scandale des PFAS aux Etats-Unis pour que ce débat arrive en France », a regretté Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste. « Vous êtes contaminés, nous sommes tous contaminés ! », a lancé sa collègue, la sénatrice écologiste Anne Souyris, du haut de la tribune. « La bonne nouvelle c’est qu’avec cette loi nous pouvons en finir, couper le robinet et réparer les dégâts de 80 années de pollution », a-t-elle salué.
Des interdictions progressives
Dans sa version initiale, l’article 1er prévoyait une interdiction générale et sans mesure transitoire des PFAS sur le sol français. Lors de l’examen en commission, celle-ci a été largement nuancée, avec une prohibition en deux temps : à partir de 2026 pour quatre types de produits : les emballages alimentaires, les cosmétiques, les produits de fartage et les textiles. Et enfin, à partir de 2030 pour l’ensemble des autres usages. Les produits présentant des taux de concentration « résiduels » échappent à l’interdiction.
Plusieurs exceptions ont aussi été apportées pour les textiles, lorsqu’ils concernent des usages stratégiques, notamment dans le domaine militaire, ou industriels. (...)
La gauche a également échoué à faire élargir l’interdiction des PFAS aux mousses anti-incendie, une demande des pompiers. Christophe Béchu a rappelé qu’un tel projet d’interdiction était déjà sur la table au niveau européen.
La nécessité d’un cadre européen
Pour le rapporteur, ce texte permet, « à quelques jours des élections, d’envoyer un signal fort aux instances européennes. » Une référence à l’initiative lancée par cinq pays européens qui vise à construire une démarche de restriction des PFAS au niveau communautaire. Pourtant, c’est au nom de cette même initiative que le gouvernement a marqué un certain scepticisme face à la proposition de loi, jugeant préférable d’attendre la mise en place d’un cadre européen avant de légiférer. (...)
Sur le principe du « pollueur-payeur », la proposition de loi instaure une taxe sur les industries dont les activités entraînent un rejet de polluants éternels dans l’environnement. Par ailleurs, dans la foulée du scandale des eaux contaminées du groupe Nestlé Waters, le contrôle sanitaire de la qualité des eaux potables inclura désormais un contrôle des PFAS.
Les élus ont également acté la création d’une carte numérique des sites émettant ou ayant pu émettre des polluants éternels. En revanche, l’idée de lister les communes les plus exposées avait été retoquée dès l’examen en commission, afin d’éviter toute stigmatisation.
Pour le sénateur PS Hervé Gillé, le texte modifié « est moins ambitieux » que celui voté à l’Assemblée nationale. Plusieurs dispositions sont renvoyées à l’application de décrets, notamment en ce qui concerne la liste des molécules interdites et les seuils de concentration tolérés, « ce qui nuit à la transparence et à la bonne lisibilité de la loi », a regretté l’élu.
La proposition de loi, telle que modifiée par le Sénat, doit désormais repasser devant les députés pour une seconde lecture. « Les écologistes seront mobilisés pour que le processus législatif aille jusqu’au bout », a promis la sénatrice Anne Souyris.