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(...) "Tout le monde sait que le bilan est plus important, c’est l’éléphant au milieu de la pièce", souffle Dominique Voynet, ancienne directrice de l’Agence régionale de santé de l’archipel. La députée écologiste a fait passer un amendement(Nouvelle fenêtre) à loi d’urgence pour Mayotte, adoptée(Nouvelle fenêtre) mercredi 22 janvier, pour réclamer au gouvernement un bilan exhaustif de la catastrophe dans un délai d’un mois. "La réparation, cela passe aussi par le fait de dire la vérité aux gens, explique-t-elle. Je n’ai rencontré personne qui croit à ce bilan de l’Etat. Pour autant, personne n’est capable de donner un chiffre."
"On a l’impression qu’on essaie de fermer les yeux"
Au lendemain du passage de Chido, les autorités ont d’abord évoqué "plusieurs centaines" voire "quelques milliers" de morts. Et les images aériennes des paysages dévastés et des bidonvilles ravagés ont effectivement laissé craindre le pire.
Mais au fil des jours, le gouvernement s’est montré beaucoup moins alarmiste. Le 23 décembre, le Premier ministre François Bayrou a finalement évoqué des "dizaines" et "pas des milliers" de victimes. "François Bayrou a d’abord comparé(Nouvelle fenêtre) la situation à Mayotte avec l’éruption de la Montagne Pelée en Martinique en 1902, qui a fait 30 000 morts. Il devait avoir des informations pour dire ça, s’étonne le sénateur mahorais Saïd Omar Oili. Donc quand j’entends aujourd’hui 40 morts, ça me paraît un peu hasardeux." Et l’élu d’évoquer sa "colère" et son "incompréhension" face à ce silence des autorités. (...)
Dès le début, les chiffres officiels ont semé le trouble dans la population. D’autant que les témoignages et les expériences de terrain s’accordent mal avec le bilan des autorités. L’élu raconte avoir été marqué par sa visite du banga de La Vigie, un bidonville de Petite-Terre. "Arrivé sur place, j’ai vu le silence et surtout, en tant qu’élu depuis 25 ans, je n’ai pas vu mes électeurs", affirme-t-il. (...)
Beaucoup d’enterrements ont été faits très rapidement, parfois des clandestins qui ne voulaient pas se signaler. Je crains qu’on ne parvienne pas à déterminer le nombre de morts", craint de son côté Henri Nouri, secrétaire départemental du Snes-FSU. Cette question des inhumations effectuées dans les vingt-quatre heures pour respecter le rituel musulman(Nouvelle fenêtre) revient souvent dans les échanges. "Une source bien placée, dont je ne doute pas, m’affirme que des imams ont évoqué des enterrements de 30 personnes", assure ainsi le sénateur Saïd Omar Oili.
"Les gens ont commencé à avoir peur de parler, car enterrer quelqu’un de cette manière, c’est passible de peines d’amende et d’emprisonnement." Saïd Omar Oili, sénat (...)
Catherine Veyrier, membre du Snes-FSU, s’est fait la promesse de ne pas "lâcher l’affaire". Elle interroge ses proches et les parents d’élèves, qui lui font tous part de leur scepticisme. "Plusieurs personnes me rapportent des enterrements d’enfants dès l’accalmie à Koungou et à La Vigie, mais il y a une anxiété dans la population, les gens ont peur de parler", confirme cette professeure d’histoire-géographie. (...)
"On ira jusqu’au bout de cette enquête" (...)
"Pourquoi ces corps n’auraient pas le droit à une mémoire et à un enterrement digne ? Quelle société ne veut pas connaître le nombre de morts d’une catastrophe ? s’indigne aussi Catherine Veyrier. Tout le monde s’en fout de ces décès et des enterrements illégaux, parce qu’ils concernent surtout les clandestins." Ils sont plusieurs à soupçonner une omerta de la parole officielle. "Les autorités ne veulent pas se mouiller pour plusieurs raisons : d’abord, elles n’ont aucun chiffre sur le nombre d’habitants des bidonvilles. Et elles ont laissé ces personnes, à majorité en situation irrégulière, habiter dans ces zones dangereuses. Elles ne veulent pas être tenues responsables", estime un journaliste sur place, sous couvert d’anonymat. (...)
L’Insee va désormais procéder à un nouveau recensement, qui pourrait permettre d’en savoir plus sur le bilan définitif de Chido. "Il va falloir du temps pour ce bilan et je ne suis pas sûr qu’on aura une réponse définitive. Mais on aura quand même des éléments, avec les données d’état civil, les certificats de décès…" explique Loup Wolff. Comme beaucoup, il compte aussi sur la rentrée scolaire pour affiner le bilan. "On pourra voir combien d’enfants manquent à l’appel et on pourra peut-être extrapoler sur la population générale", explique Dominique Voynet. Prévue initialement le 13 janvier et plusieurs fois décalée, la rentrée des élèves est dorénavant prévue le 27 janvier.