
Si Gaza reprend sa respiration au lendemain du cessez-le-feu, le cauchemar continue dans les campagnes et les bourgs de Cisjordanie : des centaines de morts, des milliers d’agressions, des pillages sévères. Le harcèlement de colons grisés par l’impunité est terrible. Rencontres, en ce début 2025, en compagnie d’une délégation de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), avec des Palestiniens victimes de la volonté israélienne d’annexion. Mais qui refusent de s’avouer vaincus.
De notre envoyé spécial en Palestine
En ces premiers jours de 2025, je parcours les routes de Palestine au pas de charge. Enfin, certaines routes. À côté du réseau traditionnel aux tracés antiques, comme souvent au Proche-Orient, les routes réservées aux colons transpercent le paysage, surélevées, grillagées, vidéosurveillées. Menaçantes, nombreuses et rapides, ces voies prioritaires rendent l’apartheid pratique, comme une application de transport. Ce paysage palestinien fragmenté, gravement altéré par la colonisation, les blocs de béton, les tourbillons de poussière, les traces de destructions, je le connais, je l’ai parcouru maintes fois ces dernières années. Pourquoi la Palestine semble plus moche, sale, triste qu’au printemps dernier. L’injustice y crève les yeux, étouffe comme le souffle de l’enfer. Ces voies de la discrimination sont laides. Elles sont un des signes qu’en Palestine tout s’enfonce dans l’inacceptable. L’indifférence du monde devrait donner à pleurer, si cela servait à soulager ma colère.
Les faits ne laissent aucun répit. Exécutions sommaires, passages à tabac, incendies de maison, destructions de fermes, saccages de terre, arrestations arbitraires… Responsables de cette rengaine quotidienne : des colons organisés en milices armées par le gouvernement et des soldats acteurs de la répression, complices des horreurs des dits-colons. Ce qui se déroule dans les profondeurs de la Palestine est « de pire en pire ». Tout le monde me le dit.
Pour la délégation de la FIDH que j’accompagne, la diplomatie de l’accolade est le signe de partage et de solidarité. Celles et ceux que l’on rencontre se forcent à sourire mais ont envie de hurler. « Comment vous-dites déjà ? Pénible [en français] », tente de plaisanter un homme dont le regard a perdu toute confiance, tandis qu’il étreint nos mains.
Cinq attaques par jour en moyenne
Les colons israéliens partagent les idéaux de l’extrême droite suprémaciste et religieuse mondiale. Ils combattent les Arabes, ce qui revient à chasser les Palestiniens (musulmans et chrétiens) de Cisjordanie. Pauvres, riches, paysans, bourgeois, citadins, ruraux. Les milices des colons ne font « plus de quartier », c’est leur mot d’ordre général. Ils auraient tort de se gêner, puisqu’ils sont encouragés par deux des plus puissants ministres de Benyamin Nétanyahou, Itamar Ben Gvir — qui a quitté la coalition gouvernementale suite à l’accord de cessez-le-feu à Gaza — et Bezalel Smotrich, eux-mêmes colons, comme onze des 29 ministres de l’actuel gouvernement. Un permis de massacrer délivré par des ministres, rabbins et généraux, dans une Sainte Trinité mortifère. (...)
Certains Palestiniens, notamment à Jénine, ont quant à eux été tués par la police palestinienne, gangrenée par une complicité sécuritaire avec Israël qui écœure les Palestiniens. « Aidez-nous à nous débarrasser du Hamas et du Fatah », supplie un bourgeois de Ramallah. Des Palestiniens les jugent comme des pions dans les mains d’Israël, prêts à les sacrifier pour leurs intérêts idéologiques et économiques. « Et nous, on compte les disparus, on n’arrive même plus à dresser les listes de nos morts, déplore un Palestinien. On est des parias, les oubliés de l’humanité. » (...)
Les Palestiniens tout le temps observés
En outre, les territoires sont quasi bouclés. L’UNRWA, l’agence onusienne en charge des réfugiés, a été mise hors circuit par Israël. Un scandale politique et humanitaire de plus. (...)
Nuits de barbarie
Malgré ses multiples fronts, cette armée a renforcé sa présence dans les territoires. Elle n’a nulle intention de « cesser-le-feu » en Cisjordanie. Elle reprend en main les checkpoints et multiplient les patrouilles, et laisse circuler les vendredis des hordes d’adolescents colons de 16 ans et moins. Ils disposent de cocktails Molotov et de gourdins. Les plus âgés qui les encadrent ont des armes. Ils boivent de l’alcool et attaquent dans l’ivresse, hurlant à la mort dans leurs nuits de barbarie. Ces instants effrayants sont saisis par les caméras de surveillance installées par l’ONG B’tselem et d’autres organisations des droits humains, comme Al-Haq.
Une victime, un bédouin, montre ses plaies encore purulentes infligées par des colons quatre jours plus tôt, vendredi 4 janvier 2025. (...)
« Cela n’a pas commencé avec le 7 octobre, mais le harcèlement des colons est de pis en pis. Les autorités ne font rien pour le faire cesser. » Il est beau, triste, sympathique : ses combats sont là, sous nos yeux.
Face à nous, à quelques centaines de mètres, se trouve la colonie, anciennement « poste avancé », de Regavim. Et sur une autre hauteur, tout près de la maison de Khaled Najjar, un kiosque à musique a été édifié. Sur cette position dominante, les colons se retrouvent avant de passer à l’attaque, mettent la musique à fond, boivent, chantent et dansent.
À Jérusalem, les mêmes colons et leurs amis dansent parfois dans la rue, devant la gare Centrale, accompagnés de leur musique pop biblique et guerrière. Un passant, hors de lui, les traite de « fascistes ». Sa colère glisse sur la foule. (...)
Ben Gvir et Smotrich ont la haute main sur les affaires militaires, civiles et financières des territoires occupés palestiniens.
Ces proconsuls ricanent de leurs volontés meurtrières sur des télévisions de propagande, ébahis de voir à quel point les « alliés » d’Israël les laissent tranquilles. En outre, des rabbins les bénissent. (...)
« On reconstruira »
Tous les Palestiniens ne vivent pas dans le dénuement des bédouins du sud. Turmus Ayya, un gros bourg de 3 000 résidents environ, au nord de Ramallah, a la caractéristique d’être peuplé à 80 % de Palestiniens ayant la nationalité américaine. Fortune faite aux États-Unis, ils reviennent et se bâtissent de gigantesques maisons entourées de précieux jardins tirés au cordeau. Parfois, ils financent une mosquée aussi chic qu’une synagogue de Beverly Hills. L’un d’eux, très élégant avec son blouson en daim et son pantalon à plis, a travaillé comme avocat en Californie. « Je suis revenu pour m’installer mais aussi pour résister », affirme-t-il avec sa courtoisie old fashion.
Il nous entraîne sur les hauteurs de la localité. On grimpe au cœur de la Palestine ancestrale, faite de champs d’oliviers tortueux et d’herbes folles incrustées entre les pierres. Deux jours avant notre passage, le 6 janvier 2025, un pavillon d’été construit au sommet d’une colline était incendié par les colon (...)
. Il n’a pas besoin de grands discours pour afficher sa détermination : « On reconstruira. »
Cela ne sera pas forcément simple. Il n’ignore pas qu’en contrebas, dans la vallée, les bâtiments de Shilo s’étendent, s’approchent des merveilleux petits palais de Turmus Ayya. Plus de quarante maisons y ont été attaquées et parfois incendiées ces derniers mois.
Beita, convoitée par les colons
Sur la route de Naplouse, je retrouve Beita, où je me suis déjà rendu au printemps 2022. La population s’opposait frontalement aux colons qui, chaque vendredi, venaient les harceler. Quand une nouvelle colonie, Eyvatar, sur le mont Sabih, avait commencé à s’implanter près de Beita en 2021, les habitants s’étaient soulevés. Il y avait eu dix morts au cours de manifestations. Les colons d’Eyvatar avaient été évacués, mais sont revenus en 2022. (...)
Et depuis le 7 octobre, les affrontements sont incessants, et ont fait plus d’une dizaine de victimes (...)