
Stade, piscine... Pendant des décennies, la raffinerie TotalEnergies a financé Donges. Cette ville de Loire-Atlantique est désormais couverte de torchères et mitoyenne d’un site Seveso, comme le raconte le média breton « Splann ! ».
(...) « Tout le monde grattait à la porte pour entrer chez Antar [le propriétaire de l’époque]. On avait quatorze mois de salaire et aussi une prime de tonnage, versée en février, un véritable jackpot ! », s’exclame-t-il. « L’été, le comité d’entreprise organisait des colonies de vacances payées par la société. Des bus emmenaient les enfants deux fois par semaine sur la plage de La Baule. » Sans compter les « logements de fonction » pour certains cadres et les maisons à loyer modéré pour les ouvriers. Bref, « globalement, pour les Dongeois, la raffinerie a permis une promotion sociale », conclut celui qui a terminé sa carrière comme cadre chez Total. (...)
Pendant des décennies, la ville, située à quinze kilomètres de Saint-Nazaire, a aussi profité des retombées fiscales d’Antar, Elf, puis Total (propriétaires successifs du site) et de leurs sous-traitants. (...)
« Autrefois, il y avait un lien fort entre la commune et la raffinerie parce qu’elle nous a permis d’avoir des recettes beaucoup plus élevées que les autres par rapport au nombre d’habitants. La taxe foncière et la taxe professionnelle de la raffinerie, c’étaient à peu près les trois quarts des recettes de la ville. On a eu un stade municipal en 1965, une piscine en 1968, beaucoup de choses ! »
La commune de 8 000 habitants a également pu bâtir trois salles omnisports, une médiathèque, une salle de spectacle, un cinéma, une maison des jeunes… Cette relation étroite entre la ville et la raffinerie s’illustre jusque dans la composition du conseil municipal (...)
Des habitants encerclés par la raffinerie et ses sous-traitants
Grâce à ces juteuses retombées fiscales et aux multiples avantages accordés aux salariés, le complexe pétrochimique a pu grignoter une bonne partie du territoire communal sans que cela provoque de levée de boucliers. De nombreux riverains se sont alors retrouvés à quelques centaines de mètres des torchères ou des réservoirs, et certains ont été contraints de céder tout ou partie de leur terrain.
Née en 1932, en même temps que la première unité de raffinage, Thérèse Guihard est un témoin rare de cette histoire tumultueuse (...)
Au fil des années, ces cultures vivrières tombent entre les mains de sociétés sous-traitantes de la raffinerie et disparaissent sous le béton, le bitume et les hangars, raconte Thérèse Guilhard. « Devant chez nous, tout a été remblayé, et petit à petit les entreprises se sont installées. » Deux grandes torchères ont ensuite été érigées à proximité. (...)
L’arrivée du pétrole a fait basculer le destin du village
Si le couple est le seul à voir sa maison rasée suite au déplacement de la voie ferrée, une soixantaine de propriétaires ont dû également céder une partie de leur jardin ou de leur terre pour y laisser passer le train. Sans compter les nuisances sonores de ceux qui, outre une vue imprenable sur la raffinerie, voient désormais passer chaque jour une soixantaine de TGV et de TER. En 1955, lorsque les Guihard ont fait construire leur maison, les installations pétrochimiques occupaient moins de 40 hectares. Aujourd’hui, elles s’étendent sur 350 hectares. (...)
C’est au milieu d’une vaste zone humide quadrillée par des étiers et peuplée d’une riche faune aquatique que s’implantent à la fin de la Première Guerre mondiale les premiers dépôts d’or noir. (...)
« Donges est devenue une ville-dortoir, une ville morte », estime Florence, croisée le 23 mai dernier sur le marché, place Armand Morvan, nommée ainsi en hommage à celui qui fut maire de la ville entre 1945 et 1959, mais aussi directeur adjoint de la raffinerie. La ville a aujourd’hui pour voisine un site Seveso « seuil haut » — c’est-à-dire considéré à haut risque — dont les défaillances commencent à inquiéter cette infirmière libérale mère de trois enfants.
En 2021 et 2022, la deuxième raffinerie de France a connu pas moins de trois accidents sérieux qui ont tous déclenché l’ouverture d’une enquête des services du ministère de la Transition écologique : une fuite de pétrole sur une canalisation, une panne électrique et une fuite sur un réservoir de carburant.
Le 21 décembre 2022, à la nuit tombée, une très forte odeur d’essence envahit le bourg. Aucune information n’ayant été communiquée aux habitants au sujet de la dangereuse fuite de carburant qui vient de se produire sur un réservoir de la raffinerie, à 800 mètres de là (...)
Les mesures d’Air Pays de la Loire, l’association chargée de la surveillance de la qualité de l’air dans la région, révéleront notamment des pics alarmants de concentration de benzène, un composé cancérogène autour de la raffinerie. Un diagnostic confirmé par le rapport de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), seulement rendu public deux ans après l’accident. Dépêchés sur place le soir de l’accident, des salariés sous-traitants mal équipés auraient été sérieusement intoxiqués. (...)
Finie l’exclusivité dongeoise sur la manne pétrolière. « Total ne finance même plus notre club de foot ! », s’offusque le maire. (...)
Aujourd’hui, TotalEnergies emploie directement 630 personnes à Donges. Nous sommes loin des 3 000 femmes et hommes employés directement par Antar au début des années 1960. La plupart des 8 000 habitants de la commune n’ont désormais plus aucun lien avec la raffinerie. C’est une population ouvrière (moins de 3 % de cadres) et très jeune : en 2021, près de 40 % ont moins de 30 ans, selon l’Insee. (...)
« Aujourd’hui, 10 % seulement des salariés habitent à Donges contre la moitié en 1950. » Interrogée sur les actions mises en place pour réduire son impact, la raffinerie n’a pas souhaité répondre.
À quand un contre-récit ? (...)