Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Nucléaire : l’envoi d’une cargaison d’uranium ravive la question de la dépendance à la Russie
#nucleaire #uranium #Russie #France #guerreenUkraine #Greenpeace
Article mis en ligne le 20 novembre 2025
dernière modification le 18 novembre 2025

Une cargaison radioactive, probablement de l’uranium de retraitement, est partie de Dunkerque vers la Russie samedi. Pour être réutilisé dans les centrales en France, ce combustible doit être traité dans une usine russe sans équivalent dans le monde. Greenpeace dénonce une exportation « de la honte »

Au matin du mardi 18 novembre, le navire Mikhaïl Dudin voguait au large des côtes néerlandaises. À son bord, une cargaison de containers d’uranium, et le poids d’un des secrets les plus gênants de la filière nucléaire française : sa dépendance à la Russie pour ses activités de retraitement – la transformation de combustible déjà irradié en matière réutilisable dans un réacteur.

Le navire, battant pavillon du Panamá, est attendu au port d’Oust-Louga, sur la mer Baltique, un important port industriel russe. Pour quelle destination ensuite ? Potentiellement la ville de Seversk dans l’oblast (la région) de Tomsk, où se trouve une usine de conversion d’uranium irradié, la seule au monde à conduire ces opérations, très polluantes. Elle est opérée par Tenex, une filiale du groupe d’État russe Rosatom. (...)

Mais rien n’était officiellement confirmé lundi 17 novembre et la gêne était palpable chez les acteurs qu’a contactés Mediapart au sujet d’un événement qui aurait dû passer inaperçu (...)

C’est l’ONG Greenpeace qui a découvert la manœuvre et pris des photos de containers métalliques marqués du symbole jaune et noir de la radioactivité.
« Pas de commentaire »

« Il y a eu entre dix et douze containers de type ISO 20 pieds, équipés pour recevoir des fûts contenants des matières radioactives », explique Yannick Rousselet, consultant pour Greenpeace, ainsi que des « cylindres 30BX » conçus pour le transport d’uranium enrichi. Mais ceux-ci étaient manifestement vides car dépourvus de logos de radioactivité. « C’est très probablement EDF qui envoie de l’uranium de retraitement sous la forme d’U3O8 », une poudre de couleur noire verdâtre, « ainsi que les contenants qui serviront au retour de cet uranium une fois transformé », précise ce spécialiste anti-nucléaire.

Du côté de l’industriel, « pas de commentaire ni d’informations particulières sur le sujet ». Pas non plus de réaction de Rosatom, avec qui il avait signé un contrat de 600 millions d’euros en 2018 pour recycler et enrichir de l’uranium issu du retraitement des combustibles usés. Aucune réponse du ministère de l’économie aux questions posées par des journalistes, alors que Roland Lescure se réjouissait début novembre que les « amis du nucléaire » aient « gagné la guerre de religion » sur l’atome. Et le haut-commissariat à l’énergie atomique semble, quant à lui, découvrir l’opération. (...)

les liens d’EDF avec Rosatom se poursuivent, malgré le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022. La conversion de l’uranium de retraitement produit en France est toujours réalisée en Russie. (...)

Pour les autorités françaises, ce n’est pas un problème, car ce volume ne représente qu’une infime partie, autour de 5 %, des 1 200 tonnes de combustibles chargés chaque année dans les centrales nucléaires hexagonales. Pour assurer la sécurité d’approvisionnement de ses réacteurs, EDF assure « maximiser la diversification de ses sources géographiques et de ses fournisseurs » et martèle ne dépendre « d’aucun site, d’aucune société et d’aucun pays pour assurer [leur] sécurité d’approvisionnement ». (...)

Mais alors, « pourquoi continuer d’envoyer de l’uranium à traiter en Russie alors que ne pas le faire n’aurait aucune incidence sur le fonctionnement du parc ? », demande Pauline Boyer, chargée de campagne nucléaire pour Greenpeace France. Elle y voit « un signal politique désastreux » : « C’est vraiment la cargaison de la honte, c’est indéfendable d’intensifier le commerce avec la Russie au moment où s’intensifient les frappes sur le réseau énergétique en Ukraine. » (...)

Combien de temps encore les affaires russes du nucléaire français vont-elles perdurer ? EDF dit être « en cours de discussions avec plusieurs fournisseurs » afin de développer une usine de conversion d’URT en Europe de l’Ouest. Mais rien de concret n’en surgit jusqu’à présent. Aucune installation de ce type n’est prévue dans le gigaprojet d’extension des usines d’Orano à La Hague, répondant au nom d’« Aval du futur ».

Or, sans conversion, l’URT extrait à La Hague n’est pas réutilisable dans les centrales nucléaires. (...)