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Mediapart
Nouvelle-Calédonie : Christian Tein entend continuer « à porter le combat de son peuple »
#NouvelleCaledonie #Kanaky #ChristianTein
Article mis en ligne le 21 juin 2025
dernière modification le 19 juin 2025

Libéré de prison il y a quelques jours, le leader indépendantiste kanak s’est exprimé pour la première fois, mercredi 18 juin. Reconnaissant avoir été « dépassé » par les révoltes de mai 2024, il conteste toute responsabilité dans les violences. Et appelle à une sortie de crise « par le haut ».

Montpellier (Hérault).– Pas complètement libre de ses mouvements – son contrôle judiciaire lui interdit de retourner chez lui, en Nouvelle-Calédonie –, mais autorisé à se déplacer en métropole, Christian Tein a choisi de s’exprimer, mercredi 18 juin, depuis le bureau de Me Florian Medico, l’un de ses avocats montpelliérains, aux côtés d’un autre de ses conseils, Me François Roux, l’avocat historique du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS).

C’est sa première apparition publique depuis sa libération de la prison de Mulhouse-Lutterbach (Haut-Rhin) une semaine plus tôt. Le leader indépendantiste y a passé un an en détention, à l’isolement et à 17 000 kilomètres de ses proches. Il avait été arrêté le 19 juin 2024, avec plusieurs autres militant·es, toutes et tous poursuivis dans le cadre de l’enquête sur les violences qui ont embrasé l’archipel à partir du 13 mai de la même année. Plusieurs d’entre eux avaient été transférés en métropole dans la foulée. Toutes et tous sont libres aujourd’hui.

Quelques jours après sa sortie de prison, Christian Tein a répondu sobrement aux questions des journalistes, pendant une heure. (...)

conditions de détention, qu’il décrit comme bonnes, notamment grâce au « personnel de la prison qui était sympa » et lui a « réchauffé le cœur », si loin de chez lui.

« Je me suis organisé mentalement pour pouvoir tenir », explique-t-il, évoquant quelques séances de sport et beaucoup de lectures, piochées dans la bibliothèque de la prison. Christian Tein affirme aussi avoir maintenu un lien avec l’actualité, en recevant des journaux par la poste ou en regardant des chaînes de télévision métropolitaines « pour ne pas être coupé complètement du monde ». Il le précise également : c’est la première fois de sa vie qu’il mettait les pieds ici. Sa compagne est venue s’installer à Mulhouse pour être à ses côtés. (...)

Si sa détention s’est correctement déroulée, sa garde à vue puis son transfert en avion militaire demeurent un souvenir affreux pour le leader indépendantiste. « Je ne souhaite à personne de vivre ça, dit-il. Ce transfert par avion, menotté [pendant toute la durée du trajet – ndlr]. Je me dis que ce n’est pas possible de vivre ça au XXIe siècle, dans un grand pays des Lumières tel que la France… » À propos de ces « conditions inhumaines », Me Florian Medico le jure : « On ne l’oubliera pas. » Ces « traitements dégradants » ne resteront pas sans suite.

Christian Tein continue, comme il le fait depuis un an, de contester « formellement les charges » retenues contre lui. Ses conseils le martèlent : « Le dossier est vide. » (...)

Aujourd’hui, le président du FLNKS « reste mis en examen pour des infractions d’association de malfaiteurs et une infraction criminelle de vol en bande organisée, explique Me Florian Medico, mais est placé sous le statut de témoin assisté » pour les autres motifs – complicité de tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique et provocation directe au groupement armé –, faute de charges suffisantes. Déterminés à blanchir totalement leur client, les avocats souhaitent aussi lui permettre de rentrer chez lui.

Au plus fort des révoltes de mai 2024, Gérald Darmanin, alors ministre de l’intérieur, avait qualifié la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), mouvement politique rattaché au FLNKS, de « groupe mafieux » et Christian Tein de « voyou ». Des propos sur lesquels Me François Roux ne manque pas de revenir. (...)

« Je pense que toute l’instruction, déjà faite à ce jour et qui va se poursuivre, démontrera que de telles injures, pour ne pas dire de telles diffamations, étaient totalement inappropriées. »

« Ces propos n’engagent que lui », commente simplement Christian Tein lorsqu’on l’interroge sur les déclarations de Gérald Darmanin. Il ne s’exprime guère plus sur l’élue loyaliste et ex-secrétaire d’État Sonia Backès, qui avait qualifié les militants de la CCAT de « terroristes » – elle comparaîtra en janvier 2026 pour diffamation, « après une plainte déposée par Christian Tein », précise Me François Roux. (...)

Le leader indépendantiste revient en revanche longuement sur les révoltes, concédant avoir été « dépassé par cette jeunesse » qui s’est soulevée dans les quartiers populaires de Nouméa. « J’étais comme tout le monde, déconcerté. Je me suis réveillé avec l’insurrection qui s’était levée dans les quartiers nord, dit-il. C’est un peu comme dans vos quartiers : après, tout s’enchaîne et les jeunes ont des moyens de communication qu’on n’avait pas à notre époque. Ça a fait l’effet d’une traînée de poudre… »

Il s’interroge : « Qui avait intérêt à mettre l’accord de Nouméa par terre ? Qui avait intérêt à ce que ce dispositif, qui a scellé la paix, soit fragilisé comme ça ? J’espère qu’un jour j’aurai une réponse à ça. J’espère qu’un jour, je saurai ce qu’il s’est passé la nuit du 12 au 13 mai. J’espère n’avoir pas fait ces mois de prison [...] sans avoir au moins une réponse. » Se disant « terriblement triste pour [son] pays », il assure qu’« à aucun moment dans le cadre de [son] engagement politique, [il] n’aurai[t] imaginé que le pays allait prendre cette tournure-là ». « J’ai toujours été habité par la conviction profonde que notre démarche est pacifique », insiste-t-il.

Christian Tein assure s’être « engagé à la désescalade » en rencontrant Emmanuel Macron fin mai 2024. « C’est ce que j’ai fait dans toutes les communes, dans tous les quartiers chauds où il a fallu aller en premier », affirme celui qui sera arrêté quinze jours après cet échange avec le président de la République (...)

Quoi qu’il en soit, il souhaite poursuivre le combat de son peuple. Et comme beaucoup, il regrette de subir, encore et toujours, la mécanique du « rapport de force ».

« Il y avait besoin que Paris comprenne qu’on ne peut pas changer les règles du jeu comme ça », affirme-t-il, en référence à la volonté de l’exécutif français d’imposer sa réforme du corps électoral. Christian Tein espère désormais trouver « les voies pour sortir par le haut » de cette crise. « Maintenant, il faut panser les blessures et que les Calédoniens se retrouvent sur le chemin du pardon, le chemin du vivre-ensemble. »
La poursuite de la lutte

Le président du FLNKS en est convaincu : « Il faut régler définitivement le sujet du corps électoral. C’est la mère de toutes les batailles qui a cristallisé les débats entre Paris et la Nouvelle-Calédonie, entre les indépendantistes et les non-indépendantistes. Il est grand temps, avec le gouvernement français, de fixer une voie vers la pleine souveraineté. Sinon on va encore faire végéter d’autres générations. »

C’est justement ce changement radical de méthode que Manuel Valls avait tenté d’impulser, en proposant un projet fondé sur une « souveraineté avec la France ». Une initiative mal perçue par Emmanuel Macron, principal responsable du fiasco de 2024, qui considère depuis fort longtemps que « la France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie ». Et n’entend pas se dédire. (...)

« Ma revendication est d’emmener notre pays vers la sortie. Je ne varierai pas là-dessus. Je continuerai à porter le combat de mon peuple, on n’a pas fait tout ce chemin pour rien. »