Malgré une majorité conservatrice et des précédents hostiles aux droits LGBT, la Cour suprême a refusé lundi d’examiner le recours d’une greffière condamnée pour avoir refusé de délivrer une licence de mariage à un couple homosexuel. Un refus qui traduit cependant moins une adhésion au mariage pour tous qu’un calcul politique et institutionnel.
Une décision en apparence mineure, mais d’une grande portée symbolique : pour la première fois depuis plusieurs années, la plus haute juridiction américaine, pourtant dominée par les conservateurs, a choisi de ne pas rouvrir un dossier emblématique des droits LGBT+.
En 2015, le refus de Kim Davis d’enregistrer le mariage de David Ermold et David Moore lui avait valu une brève incarcération pour outrage au tribunal. Le couple l’avait ensuite poursuivie pour violation de ses droits constitutionnels, obtenant gain de cause et recevant 100 000 dollars de dommages et intérêts. Soutenue par plusieurs groupes chrétiens conservateurs, la greffière avait alors décidé de porter son affaire jusqu’à la Cour suprême.
La plaignante faisait valoir que le mariage homosexuel était contraire à ses convictions de chrétienne apostolique. "Pour moi, ce serait un acte de désobéissance à Dieu", avait-elle déclaré à l’époque.
Mais si l’affaire a attiré l’attention des plus conservateurs, c’est surtout parce qu’elle offrait une occasion, espéraient-ils, de remettre en cause l’arrêt historique Obergefell v. Hodges, qui a légalisé en 2015 le mariage homosexuel dans les 50 États américains. De la même manière que la Cour suprême, à majorité conservatrice – six juges sur neuf –, a enterré en 2022 l’arrêt historique qui garantissait le droit à l’avortement.
Une stratégie conservatrice qui trouve ses limites
Depuis le revirement de jurisprudence sur l’arrêt Roe v. Wade il y a trois ans, le mouvement conservateur chrétien conteste les décisions "progressistes" de la Cour suprême américaine au nom du très efficace argument de la "liberté religieuse". (...)
Pourtant, la Cour suprême a choisi cette fois de ne pas s’en saisir.
Cette décision tient à la nature même du recours. Là où les précédentes affaires questionnaient des principes généraux de liberté religieuse ou d’expression, l’affaire Davis reposait avant tout sur une condamnation individuelle : celle d’une greffière sanctionnée pour désobéissance civile. Un terrain juridique trop étroit, selon les spécialistes, pour renverser un précédent majeur comme Obergefell v. Hodges.
"Aujourd’hui, l’amour a encore gagné", s’est félicitée dans un communiqué la présidente de l’association Human Rights Campaign, Kelley Robinson. "La Cour suprême a clairement fait savoir aujourd’hui que refuser de respecter les droits constitutionnels d’autrui n’était pas sans conséquences."
De l’avis de plusieurs experts, le refus de la cour d’examiner l’appel de Kim Davis – qui a été considéré comme une petite victoire par la communauté LGBT+ – semble avoir été décidé moins par adhésion au mariage homosexuel que par calcul institutionnel et prudence politique.
Comme le souligne auprès de Bloomberg Noah Felman, professeur de droit à Harvard, le recours de Kim Davis "doit être interprétée comme un signe que la majorité conservatrice n’a que peu d’intérêt à revenir sur le mariage homosexuel". D’autant plus que le recours portait sur le versement de dommages et intérêts, et non sur la remise en cause directe de la légalité du mariage homosexuel. (...)
Mais la prudence des juges conservateurs s’explique aussi par des considérations politiques.
"Pour l’instant, les juges nommés par les Républicains semblent privilégier les attaques indirectes contre les droits des Américains LGBT+ plutôt qu’une attaque frontale contre leurs libertés constitutionnelles fondamentales", analyse dans le magazine Slate, le journaliste et commentateur américain Mark Joseph Stern, spécialiste de la Cour suprême. Une stratégie prudente, selon lui, destinée à éviter une nouvelle onde de choc politique semblable à celle qui a suivi la révocation du droit fédéral à l’avortement, en 2022.
Large soutien, attaques persistantes
D’autres facteurs plus concrets pourraient également expliquer cette prudence. Parmi eux, le Respect for Marriage Act – promulgué par Joe Biden en 2022 –, qui impose à tous les États américains de reconnaître les mariages civils entre personnes de même sexe et interraciaux.
"Le refus de la Cour suprême d’examiner l’affaire confirme ce que nous savions déjà : les couples de même sexe ont un droit constitutionnel au mariage, et le refus de Kim Davis de délivrer des certificats de mariage, en violation de l’arrêt Obergefell, constitue une violation flagrante de ce droit", a déclaré William Powell, avocat du couple David Ermold et David Moore. "C’est une victoire pour tous les couples de même sexe qui ont bâti leur famille et leur vie autour du droit au mariage."
Un droit au mariage pour les personnes de même sexe auquel un large pourcentage d’Américains se montre aujourd’hui encore favorable. (...)
En revanche, depuis la révocation de l’arrêt Roe v. Wade en 2022, qui garantissait le droit à l’avortement, la Cour suprême américaine a quant à elle vu sa crédibilité vaciller. "La cote de popularité de la Cour est inférieure de 22 points de pourcentage à ce qu’elle était en août 2020, lorsque 70 % des Américains en avaient une opinion positive", selon un sondage du Pew Research Center mené en août dernier.
Selon ce même sondage, "86 % des Américains estiment que les juges ne devraient pas laisser leurs opinions politiques influencer leurs décisions". (...)
Cette fois, si le refus de la Cour suprême d’examiner le recours de Kim Davis semble laisser un peu de répit aux droits LGBT+, il intervient néanmoins dans un contexte où les opposants au droit au mariage gay redoublent d’efforts pour renverser à tout prix la jurisprudence, et permettre ainsi à chaque État de définir sa propre politique en la matière. (...)