
ENTRETIEN. Manon Aubry, tête de liste La France insoumise (LFI) pour les élections européennes de 2024, tire pour Euractiv France le bilan de la mandature européenne actuelle (2019-2024) et ses souhaits pour celle à venir (2024-2029). Selon l’élue, l’UE doit rompre avec les dogmes libéraux, favoriser le protectionnisme européen et démocratiser les processus avant d’imaginer son élargissement et une place sur la scène géopolitique internationale.
Manon Aubry. Depuis cinq ans, l’accumulation des crises sanitaire, énergétique, économique, climatique, géopolitique ont fait vaciller les dogmes de l’UE.
Sous pression, la Commission européenne a été obligée de parler de protectionnisme, de souveraineté, de réindustrialisation, de planification ou de suspension des règles budgétaires.
La réalité nous a donc donné raison : l’austérité, le tout-marché et le libre-échange amènent le chaos.
Est-ce selon vous une remise en question définitive ?
Nous ne sommes pas dupes. L’UE est à la croisée des chemins et nous voyons déjà les prémisses d’un violent retour de bâton avec le renforcement des règles d’austérité budgétaire, l’accélération de la signature d’accords de libre-échange et la fin du Green deal européen.
Notre groupe et nos idées ont gagné une bataille culturelle, mais pas encore la bataille politique.
Vous mentionnez la « fin du Green deal ». C’est-à-dire ? (...)
Ne reconnaissez-vous pas un effort inédit de la part de l’UE pour lutter contre le réchauffement climatique ?
Toute avancée est bonne à prendre, mais il y a une incohérence structurelle. On ne peut pas prendre à bras-le-corps la question climatique sans remettre en cause les dogmes économiques actuels. (...)
l’UE est une somme de rapports de forces qu’il faut assumer pour construire une Europe plus sociale, plus écologique et plus démocratique.
C’est d’ailleurs à ces fins que la désobéissance est incluse dans le volet européen du programme commun de la NUPES [alliance des gauches françaises, NDLR].
En outre, je rappelle que tout le monde désobéit, Emmanuel Macron y compris, quand la France n’atteint pas ses objectifs en matière d’énergies renouvelables par exemple.
Une « Europe plus démocratique », qu’est-ce que cela signifie ?
Au début de mon mandat, j’ai été frappée par l’opacité totale du fonctionnement de l’UE où toutes les négociations se déroulent à huis clos.
Cette opacité est un véritable poison dont les lobbys profitent pour faire la loi. Sachez, par exemple, que pour chaque député européen, il y a 52 lobbyistes !
Au sein des institutions européennes, le fric a trop longtemps primé sur l’éthique. Selon moi, la transparence est la mère de toutes les batailles.
Y a-t-il des règles à changer ?
Évidemment ! Il faut, entre autres, absolument interdire les rémunérations annexes des parlementaires au cours de leur mandat.
Certains eurodéputés peuvent gagner plusieurs milliers d’euros par mois grâce à des entreprises privées. C’est un scandale ! Comment voulez-vous croire, en ce cas, qu’ils rendent des comptes à leurs électeurs plutôt qu’aux entreprises qui les paient ?
J’ai le sentiment que tout le monde à Bruxelles s’est habitué à ce fonctionnement opaque, mais pas moi ! Si nous n’améliorons pas la transparence, nous ne changerons pas cette image du « tous pourris » qui pèse sur la politique européenne. (...)
La réforme institutionnelle est un vieux serpent de mer. En réalité, il faut tout repenser, renforcer les pouvoirs du Parlement européen ou encore supprimer l’unanimité en matière fiscale. Comment voulez-vous lutter contre l’évasion fiscale quand certains États membres sont des paradis fiscaux et disposent d’un pouvoir de blocage ? (...)
pour le moment, ce n’est pas acceptable que la Commission européenne s’approprie des compétences ou prenne des positions indépendantes des États membres.
Les positions unilatérales de certains commissaires sur la suspension de l’aide humanitaire aux Palestiniens ou le soutien inconditionnel d’Ursula von der Leyen [présidente de la Commission européenne] envers Benjamin Netanyahou [Premier ministre israélien] ont été des fautes politiques majeures.
Pour moi, la priorité est que l’UE sorte de ses dépendances extérieures, qu’elle refuse de s’aligner sur les grandes puissances et se fasse l’avocate du droit et des institutions internationales — nous en sommes loin. (...)
. À LFI et La Gauche, nous sortons de ce mandat avec un bilan : défense des travailleurs des plateformes, fin de l’impunité juridique des multinationales, combat pour sortir l’énergie des marchés, etc.
Nous continuerons de porter la voix de ceux que l’on entend trop peu au sein des institutions européennes souvent déconnectées de la réalité. (...)