
Le procureur de la Cour pénale internationale a requis des mandats d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et son ministre de la défense Yoav Gallant, ainsi que trois responsables du Hamas. Entretien avec le spécialiste de droit international Johann Soufi.
(...) D’un côté sont visés dans cette requête le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et son ministre de la défense Yoav Gallant. De l’autre sont ciblés le chef du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, le commandant des Brigades Al-Qassam, Mohammed Deif et le chef du Hamas dans la bande de Gaza, Yahya Sinouar.
Pour l’une comme pour l’autre des parties, Karim Khan détaille une longue liste de crimes allégués. (...)
Cette requête de la Cour pénale internationale constitue-t-elle un tournant dans le conflit ? Quelles conséquences aura-t-elle ? Entretien avec Johann Soufi, avocat et spécialiste de droit international. (...)
Johann Soufi : C’est une des choses qui m’interroge le plus : le caractère extrêmement complet des charges à l’encontre des deux parties au conflit. On est clairement dans une stratégie différente de celle adoptée vis-à-vis de Vladimir Poutine qui était poursuivi pour un fait unique, le crime de guerre de déportation d’enfants.
Ici les accusations sont beaucoup plus complètes : les crimes contre l’humanité d’extermination et de persécution reprochés à Nétanyahou et Gallant ne sont pas forcément loin de l’accusation de génocide. En terme probatoire, c’est extrêmement dur à prouver.
Je veux aussi souligner que le fait d’annoncer une requête pour un mandat d’arrêt, avant même que celui-ci soit émis par les juges, est exceptionnel dans l’histoire de la cour. (...)
on sent qu’il y a un besoin de communiquer, probablement aussi pour éviter les pressions politiques considérables sur la cour. Maintenant, c’est entre les mains des trois juges de la chambre préliminaire.
Quelle est la prochaine étape ?
La requête du procureur contient un nombre important de charges à la fois contre les trois responsables du Hamas et contre les dirigeants israéliens. Les juges vont devoir procéder à une double vérification : établir le crime en question d’abord, et ensuite son imputation à la personne visée par le mandat d’arrêt, le tout sur la base du résumé des preuves que le procureur a fourni. Ça peut prendre des semaines, voire plusieurs mois. Le procureur peut faire appel si des charges ne sont pas confirmées (...)
D’un point de vue symbolique, il était obligatoire de poursuivre les deux parties en même temps. Le fait que chacune des parties au conflit ait commis des crimes qui relèvent de la compétence de la cour est indiscutable. Le fait d’annoncer les requêtes de mandats d’arrêt en même temps était nécessaire, car personne n’aurait compris un mandat d’arrêt contre une des parties au conflit et pas contre l’autre. (...)
Dans sa déclaration, Karim Khan explique avoir pris des « précautions supplémentaires en s’entourant d’un groupe impartial d’experts en droit international » : a-t-il besoin de se protéger ?
Oui, en agissant de la sorte, il cherche une forme de protection politique, de légitimité aux yeux notamment des pays occidentaux. La plupart des personnes qu’il cite sont des personnalités respectées dans les pays occidentaux pour leur contribution au droit international (...)
C’est une manière de dire qu’il a consulté toute la communauté juridique internationale. Il l’a fait en bon stratège alors qu’il n’en avait pas besoin d’un point de vue juridique. (...)
Cela représente-t-il un tournant dans le conflit ?
Dans l’histoire de la justice internationale, c’est certain. Dans le conflit également, cette requête constitue la première goutte de justice, dans un conflit marqué par l’impunité généralisée des auteurs de crimes de guerre, et de crimes contre l’humanité. En cela, c’est déjà un moment historique.
On peut espérer aussi que ces mandats d’arrêt auront un effet dissuasif sur la poursuite des combats. Maintenant que les deux parties sont formellement accusées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, elles ne peuvent plus prétendre agir dans le cadre du droit international. (...)
Si des mandats d’arrêt étaient délivrés, que cela changerait-il concrètement pour Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant d’un côté, et les leaders du Hamas de l’autre ?
Politiquement, tout d’abord, il paraîtrait difficile de garder comme premier ministre et ministre de la défense des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt. D’abord, ils seront stigmatisés et davantage isolés sur la scène politique internationale. Ils ne pourront plus voyager dans les 124 pays qui sont parties au Statut de la cour (...)
Je ne vois pas non plus le gouvernement américain, même s’il n’est pas signataire du Statut de Rome, aller serrer la main à des dirigeants poursuivis pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’image serait catastrophique pour Biden et son administration.
Du côté des responsables du Hamas, politiquement, je pense que ça sera un peu moins fort, car ils étaient déjà discrédités sur la scène internationale. Mais sur la symbolique d’un mouvement qui affirme être un mouvement de résistance, le fait d’être poursuivi pour des crimes contre l’humanité, notamment des meurtres, de la torture et des viols de civils, confirme le fait que ce qui a été commis le 7 octobre constitue bel et bien un crime au regard du droit international.