
Les primates montrent des capacités d’adaptation de leurs comportements surprenantes en réponse à des bouleversements majeurs de leur environnement. Ces résultats nous rappellent l’existence d’un « capital culturel » chez les animaux, transmis de génération en génération, mais menacé par les effets des activités humaines.
Comment réagirions-nous si notre lieu de vie ou celui de nos voisins devenait subitement inhabitable ? Serions-nous accueillants et plus ouverts aux autres, ou au contraire repliés sur nous-mêmes et plus agressifs ? C’est le dilemme auquel ont été confrontés les macaques rhésus de la petite île de Cayo Santiago, lorsque l’ouragan Maria a balayé ce territoire portoricain, dans les Caraïbes, en septembre 2017.
En une nuit, Cayo Santiago s’est radicalement transformée, passant d’une jungle luxuriante à une bande de sable quasi désertique, sur laquelle ne subsistait plus qu’une végétation éparse et déplumée. Avec seulement quelques arbres restants pour se mettre à l’ombre, et ainsi se protéger des chaleurs estivales mortifères, cette communauté de petits singes allait-elle survivre ? Et si oui, comment ? (...)
Des singes querelleurs devenus bienveillants
Pourtant, rien ne s’est passé comme prévu. Les macaques rhésus, connus pour faire partie des singes les plus querelleurs qui soient, ont réagi de façon a priori inexplicable : ils sont devenus bienveillants les uns avec les autres. Concrètement, plutôt que de redoubler de compétitivité avec leur prochain, ils ont au contraire élargi leur réseau social et sont devenus moins agressifs. (...)
les plus « haut placés » étant notamment plus tolérants envers leurs congénères, acceptant de partager cette ressource précieuse qu’était devenue l’ombre.
« Tout le monde a été très surpris », explique la scientifique. (...)
Il est rare d’avoir des exemples présentant de telles conditions, où un événement ponctuel ravage une population animale qui était étudiée depuis suffisamment longtemps pour qu’on ait des données scientifiques avant et après l’incident. Mais un exemple similaire en Afrique de l’Est a cependant montré qu’une bande de singes querelleurs pouvait en effet changer de comportement soudainement et durablement. (...)
Le « capital culturel animal » passe de génération en génération
« Lorsqu’on parle de transmission, on pense souvent au patrimoine génétique, mais on omet de mentionner la transmission des comportements, pour lesquels il n’y a pas ou peu de base biologique. Cela constitue le “capital culturel animal”, lequel explique tout à fait l’émergence d’une population plus tolérante parmi les babouins kenyans suite à l’épidémie de tuberculose », explique Cédric Sueur, primatologue et éthologue à l’université de Strasbourg et auteur des Péripéties d’un primatologue (Odile Jacob).
Ce « capital culturel » fait référence à l’ensemble des connaissances, des comportements et des compétences développés par des individus d’une communauté, partagés et transmis en son sein. Si celui-ci n’est plus à démontrer chez l’humain, il existe aussi bel et bien chez les animaux. (...)
« Lorsqu’une population disparaît, il ne suffit pas de la remplacer par une autre population de la même espèce, prélevée ailleurs : la culture du groupe disparu a été perdue au passage, mettant en péril la conservation de l’espèce tout entière, amputée d’une partie de ses connaissances pour se nourrir, se soigner, etc. Ce sont des pertes pour l’espèce elle-même, mais pour nous aussi : ces savoirs auraient pu être importants pour les humains », estime le primatologue.
Quelles leçons tirer des bouleversements induits par l’ouragan dévastateur de Cayo Santiago ? le fait que la population de macaques rhésus de l’île, dont tout le monde avait craint la disparition, a survécu. Qui plus est, non pas grâce à son patrimoine génétique, mais grâce à un changement comportemental et à la transmission de ce nouveau « capital culturel ». (...)