
Plusieurs films récents ont été ciblés par des raids numériques d’extrême droite, qui investissent les réseaux sociaux et la plateforme AlloCiné. Ces campagnes de dénigrement sont relayées par des médias et comptes réactionnaires, dont certains évoluent dans la galaxie Bolloré.
« C’est un film sur une famille maghrébine endeuillée par les violences policières et qui s’organise politiquement pour faire éclater la vérité. Et ça, l’extrême droite n’en veut pas. » Peu avant la sortie en salles de Avant que les flammes ne s’éteignent, son réalisateur, Mehdi Fikri, se doutait bien que son film ne serait pas épargné par les attaques de la « fachosphère », mais certainement pas dans ces proportions-là.
Tout a commencé par une avalanche de commentaires racistes, insultants, menaçants de la part d’internautes anonymes. « Dès qu’on a posté la bande-annonce, avant même les premiers visionnages de la presse, des messages d’une violence inouïe ont commencé à affluer », explique le distributeur David Grumbach, patron de BAC Films. Le déferlement de haine est tel qu’AlloCiné et BAC Films décident de fermer sur YouTube l’espace commentaires disponible sous la bande-annonce. (...)
Au centre de la vague haineuse, la comédienne et chanteuse Camélia Jordana, tête d’affiche du film, et cible régulière de l’extrême droite sur les réseaux sociaux depuis ses prises de position contre le racisme et les violences policières en 2020 sur le plateau de « On n’est pas couché ». (...)
Ils investissent AlloCiné, plateforme prescriptrice incontournable du cinéma en France, et font chuter, en seulement vingt-quatre heures, la note « spectateurs » du film à 1,4/5. Cette note est cruciale, car elle a un impact sur les entrées (...)
Parallèlement, plusieurs fausses informations sont diffusées, sur ce que raconte le film (...)
comme sur son financement. (...)
Cette campagne de dénigrement trouve un élan supplémentaire lorsque Pascal Praud et ses chroniqueurs reprennent à leur compte ces attaques sur CNews. (...)
Cet argumentaire a été ensuite abondamment repris et a contribué à façonner l’image publique de l’œuvre. (...)
Pour le distributeur et le producteur, les raids de l’extrême droite expliquent en partie le mauvais démarrage du film, qui a attiré 20 000 spectateurs la première semaine, soit cinq fois en dessous des attentes. « La fachosphère s’est emparée du film, et a créé un climat nocif alors que le film se veut lumineux et fort », regrette David Grumbach, qui précise que plusieurs émissions TV ou radios ont annulé leurs invitations, par crainte d’attirer l’attention de la « fachosphère ».
Les efforts des équipes pour rassurer les exploitants de salle, pris de frilosité après les révoltes urbaines suivant la mort de Nahel, n’ont pas suffi. (...)
Cinq mois d’attaques pour le film « Rodeo » et sa réalisatrice (...)
Un fonctionnement « propre à l’extrême droite » (...)
Pour « alerter toute l’industrie » et qu’une « solidarité » se mette en place, la SRF a dénoncé publiquement ces attaques « de l’extrême droite » le 22 novembre, y voyant des « manœuvres d’intimidation » pour « pratiquer une censure de fait qui ne dit pas son nom ». « Ces manipulations visent à intimider les cinéastes, les distributeurs, pour qu’ils n’osent plus aborder certains sujets, filmer certains récits, certaines personnes », explique Chloé Folens. (...)
Mehdi Fikri reproche à la plateforme de refuser de qualifier « d’extrême droite » les attaques coordonnées contre son film, alors même que des commentaires racistes et sexistes visant le film et ses acteurs ont été supprimés sur la plateforme. Pour la SRF, le « mode opératoire », « la cohérence des films attaqués » ne « laissent planer aucun doute sur l’origine de ces attaques ». (...)
En témoigne l’effet booster dont ont à l’inverse bénéficié, avant même leur sortie, Sound of Freedom (2023), thriller sur le trafic sexuel d’enfants, soutenu par Elon Musk, Donald Trump, le réseau complotiste QAnon et les médias conservateurs américains ; ou Vaincre et mourir, produit par le Puy du Fou et StudioCanal, qui propose une relecture biaisée des guerres de Vendée au service de la droite identitaire. (...)
Le rôle insidieux du compte « Destination Ciné »
Cette « guerre » est aussi menée, de manière plus insidieuse, par le compte anonyme sur X (ex-Twitter) Destination Ciné. Ce profil, créé en 2012 et suivi par près de 22 000 personnes, dont un grand nombre de professionnels du secteur, livre l’actualité du monde du cinéma et les chiffres du box-office. Ces dernières années, il a opéré un virage très politique, s’en prenant désormais à la culture « woke », à « l’extrême gauche » qui « noyaute » le cinéma français et aux films réalisés par – ou mettant en scène – des femmes, des personnes racisées ou LGBT+.
Son objectif : démontrer que ces films, soutenus par des financements publics et la « presse de gauche », seraient des échecs en salles. (...)
Lorsque la SRF a dénoncé les attaques de l’extrême droite, il a immédiatement réagi : « Pour la Société des réalisateurs de films français, si vous n’allez pas voir leurs films c’est que vous êtes… d’extrême droite. »
Qui se cache derrière Destination Ciné ? La question agite le monde du cinéma, où ce compte est accusé de diffuser des chiffres « faux » ou « manipulés », « sans contexte » (...)
Dans ces attaques, le film est dépeint comme un « navet pro-racaille [...] subventionné par l’argent public », coupable de répandre la « haine anti-flic » et la « détestation de la République », pouvait-on lire dans des commentaires sur AlloCiné et YouTube, supprimés depuis. Un internaute promet même de venir crier avec une barre de fer « vive la police, vive Zemmour et vive la France » si le film est diffusé dans le duplex de sa ville.