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Mediapart
Les psychédéliques font leur retour en psychiatrie
#psychotropes
Article mis en ligne le 12 septembre 2024
dernière modification le 9 septembre 2024

Ça redécolle. Les trips psychédéliques font leur grand retour dans le monde de la psychiatrie, y compris en France. Pas moins de 300 essais cliniques sont actuellement répertoriés dans le monde, la plupart utilisant la psilocybine, les fameux « champignons magiques » (dont la consommation est interdite en France). En parallèle, la recherche tente de comprendre comment ces substances agissent sur le cerveau. Offrant des découvertes passionnantes, en particulier sur la conscience de soi et ces ruminations qui parfois nous rongent…

(...) l’interdiction des psychotropes par l’ONU, en 1971, a suspendu pratiquement toutes les recherches sur ces produits. Jusqu’à ce que de nouveaux pionniers s’y remettent timidement à la fin des années 1990, en Suisse et aux États-Unis notamment. Avec un peu de retard, la France se joint désormais au mouvement. Deux premiers essais cliniques démarrent cette année : le CHU de Nîmes (Gard) va tester la psilocybine contre l’addiction à l’alcool et le groupe hospitalier universitaire de Paris la testera contre la dépression.

Traiter des troubles psychiques en provoquant un intense tumulte neuronal ? L’idée peut paraître saugrenue. Et pourtant… De nombreux troubles psychiques se caractérisent par des ruminations, des pensées et des comportements qui tournent en boucle. Or, un cerveau sous psychédéliques va précisément court-circuiter ces boucles, emprunter de nouvelles routes neuronales. Une restructuration dont il semble possible de tirer profit. (...)

« N’allez pas croire que les psychédéliques entraînent uniquement une augmentation de l’activité neuronale, précise d’emblée Joshua Siegel, du Centre de médecine psychédélique de l’université de New York (NYU). Selon la nature des neurones et des récepteurs sur lesquels ces composés vont se fixer, ils peuvent aussi inhiber la propagation des messages nerveux. » Le cerveau n’est donc pas plus actif ni moins actif sous psychédéliques. En revanche, il devient, de manière temporaire, tout à fait imprévisible.

Désynchronisation radicale (...)

Bizarrement, un cerveau au repos est très actif : des aires cérébrales, situées dans des régions différentes, s’activent de manière synchrone. Parfois surnommé le « réseau du vagabondage mental », il est notamment impliqué dans la conscience de soi, l’introspection, le rappel de souvenirs autobiographiques ou bien les projections dans le futur. Dès lors qu’on s’engage dans une tâche, ce réseau se désactive.

Sous psilocybine, le cerveau au repos n’est plus du tout le même. Les synchronisations disparaissent et de nouvelles communications voient le jour entre des groupes de neurones qui n’échangent habituellement pas d’informations. C’est durant cette période que les hallucinations, et parfois les expériences mystiques, ont lieu. Les consommateurs rapportent notamment une modification de leur conscience d’eux-mêmes et de leur corps. Comme si les frontières entre le soi, les autres et le monde s’effaçaient. Une « dissolution de l’ego », lit-on souvent.

L’une des explications de ce remodelage des circuits cérébraux, c’est qu’au-delà d’emprunter des routes inhabituelles mais déjà existantes, les neurones se mettent à créer de nouvelles connexions entre eux. (...)

démarrage en France d’un essai clinique international visant à tester la psilocybine sur la dépression résistante (caractérisée par plusieurs échecs thérapeutiques). Un essai de phase 3 qui portera au total sur plus de 500 personnes, dernière étape avant l’espoir d’une autorisation de mise sur le marché. (...)

Effet pharmacologique versus effet placebo

D’autres essais cliniques montrent des résultats très encourageants sur l’anxiété liée à la fin de vie, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), l’addiction au tabac ou à l’alcool. Toutefois, ces essais portent sur un faible échantillon de personnes. Et surtout, la fameuse comparaison en « double aveugle », qui consiste à faire en sorte que ni les patient·es ni les soignant·es ne connaissent la nature du traitement, est ici impossible. (...)

Il y a toutefois de bonnes raisons de penser que le traitement lui-même joue un rôle. Ainsi, ce « mode par défaut » si perturbé par la prise de psilocybine est impliqué dans la dépression et les états anxieux, explique Lucie Berkovitch. « On estime que c’est aussi le siège des ruminations, des pensées qui tournent en boucle sur certaines difficultés, ou des scénarios catastrophes. » Dérégler fortement ce réseau, même de manière temporaire, pourrait représenter une occasion de modifier enfin ces histoires qu’on se raconte sur soi-même et sur les autres.

Le défi de la « psychothérapie augmentée »

D’après le Global Drug Survey, les champignons font partie des drogues les moins risquées. En particulier, aucun risque de dépendance n’a été identifié, contrairement aux opiacés. Néanmoins, l’expérience peut parfois mal tourner. (...)

dans les essais cliniques sur la dépression, « certains patients qui n’avaient pas bien répondu à la psilocybine ont présenté une augmentation des idées suicidaires après la prise du traitement », confirme Lucie Berkovitch. D’où l’importance d’un contexte sécurisé et d’un accompagnement psychologique, souligne la psychiatre.

Autre crainte des spécialistes : le déclenchement d’événements psychotiques, voire l’installation d’une schizophrénie chez les personnes prédisposées. Pour cette raison, la plupart des essais cliniques excluent pour l’heure celles et ceux qui présentent des antécédents familiaux ou personnels de schizophrénie ou de troubles bipolaires.

Enfin, il a été également rapporté un trouble persistant de la perception dû aux hallucinogènes, sorte de flashback des hallucinations vécues. Un effet secondaire assez fréquent mais peu invalidant d’après les victimes.

En réalité, le frein principal vis-à-vis de ces « psychothérapies augmentées par psychédéliques » pourrait se situer ailleurs : « Ces thérapies nécessitent la présence permanente d’un soignant auprès du patient le temps que durent les hallucinations, de six à douze heures selon les produits », détaille Lucie Berkovitch. Un défi de taille au vu du manque de moyens alloués à la santé mentale en France.