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Mediapart
Les origines du capitalisme, un problème de notre époque
#capitalisme
Article mis en ligne le 8 août 2024
dernière modification le 4 août 2024

Dans un ouvrage récent qui n’élude aucune des difficultés de la question, l’historien Jérôme Baschet explore les modalités et les causes de la rupture capitaliste. Un sujet qui a une utilité majeure pour aujourd’hui.

Dans un ouvrage publié cette année aux éditions Crise & critique, l’historien Jérôme Baschet pose, en titre, cette question : quand commence le capitalisme ? L’interrogation peut paraître bien éloignée des préoccupations du moment. Mais l’apparence est trompeuse car, en réalité, elle est cruciale pour au moins deux raisons majeures.

La première est qu’elle permet de replacer le capitalisme dans une perspective historique. En identifiant son début et les conditions de ce commencement, on en finit avec l’illusion de la « naturalité » de ce système économico-social savamment entretenu par ses apologistes. (...)

La seconde raison qui justifie que l’on se penche sur la question des débuts du capitalisme, c’est que pour définir ce moment, il faut s’attaquer à la question plus difficile, mais encore plus importante, de la définition même du capitalisme. (...)

Or, précisément, un projet cohérent de dépassement du capitalisme ne peut être sérieux qu’en remettant en cause ces piliers pour éviter d’être dans une simple gestion du désastre en cours.
(...)

L’enjeu de ce débat n’est donc pas de reproduire la transition vers le capitalisme pour en sortir, mais bien plutôt de comprendre l’originalité de ce phénomène historique qu’est le capitalisme pour mieux le contester. (...)

L’industrialisation qui accompagne et est encouragée par ce mouvement vient alors favoriser « trois ruptures » : écologique, sociale et anthropologique. Ces ruptures n’ont été réalisées ni par le commerce vénitien ou néerlandais, ni par la banque lombarde, ni par le développement agricole anglais de la fin du Moyen Âge. En cascade, ces trois ruptures s’accompagnent d’une « double fracture conceptuelle » majeure avec le féodalisme (ou plutôt avec ce que Jérôme Baschet appelle le « système féodo-ecclésial ») : la naissance de la notion d’économie et celle de « religion », conçue comme « croyance individuelle librement choisie ». Dès lors, les logiques propres au monde féodal deviennent « incompréhensibles » et sont renvoyées à « l’irrationalité et à l’obscurantisme ». La légende noire du « Moyen Âge », construite dès la fin du XIXe siècle, en sera la conséquence.

Les facteurs du basculement

La position de Jérôme Baschet est ainsi celle d’une rupture rapide, géographiquement située et relativement tardive. Il s’oppose en cela à la tendance forte dans la recherche, y compris marxiste, à insister sur les évolutions longues. (...)

Pour autant, l’auteur ne nie évidemment pas le fait que cette rupture s’appuie sur des évolutions longues internes au système féodo-ecclésial. Ce sont ces transformations qui sont les fondements permettant la rupture de la fin du XVIIIe siècle, sans que cette évolution soit une nécessité incontournable. Cette vision permet de comprendre pourquoi le capitalisme est né en Occident sans basculer dans l’eurocentrisme (...)

Jérôme Baschet rejette cette vision. Certes, il existe de façon ancienne la pratique d’investir « une somme d’argent en vue d’obtenir davantage d’argent », ce que l’auteur appelle un « capital au sens élémentaire du terme ». Mais « cela ne suffit en aucun cas à parler de capitalisme, entendu comme mode de production, comme ensemble de rapports rendant possible l’activité productive et déterminant la répartition/appropriation du surplus de production, et comme type de société assurant la reproduction de ses rapports ». Autrement dit : l’existence d’activités du capital, même importantes, ne détermine pas l’existence du capitalisme.

Pour faire capitalisme, il faut qu’il y ait une prédominance des activités du capital dans la sphère productive et que cette « amplification des rapports capitalistes » ainsi que l’ensemble « des exigences du capital » aient des « effets déterminants sur l’organisation sociale ». (...)

Il existe donc des activités du capital non capitalistes et l’auteur en explore les modalités dans le commerce, la monnaie et les échanges. (...)

Le changement, par conséquent, n’est pas que quantitatif, il est qualitatif. Et, dès lors, c’est la dernière leçon de ce livre, « le capitalisme n’est nullement l’aboutissement nécessaire de l’essor des activités du capital ». Le capitalisme n’est pas le fruit d’une « prétendue accumulation primitive du capital » (que Marx qualifiait, au reste, ainsi), mais au contraire le fruit des limites de cette accumulation des formes non capitalistes d’activités du capital qui « bute sur un triple blocage social, ontologique et écologique ». Le capitalisme est le système qui permet de lever ces blocages.

Leçons pour aujourd’hui (...)

Reste à savoir quelles leçons retenir de cette réflexion pour notre époque, où le capitalisme a élargi géographiquement et socialement sa domination, mais où sa crise sociale, politique et écologique nous ramène à l’idée d’un blocage interne du système. Jérôme Baschet met en garde contre toute idée d’un « modèle de transition » qui s’appliquerait à notre époque. (...)

le système capitaliste est le premier à engager l’ensemble de l’humanité, ce qui est à la fois un obstacle et une opportunité. C’est un sujet dont, d’ailleurs, l’auteur s’est déjà emparé dans un texte de 2021, Basculements (La Découverte).

La question des commencements du capitalisme n’est donc pas anecdotique ou savante, et le texte de Jérôme Baschet en est pour cela plus qu’utile : il permet de rappeler que le capitalisme est historique et d’origine humaine et, qu’en cela, il n’est nullement un horizon théoriquement indépassable.

Jérôme Baschet, Quand commence le capitalisme ?, Crise & critique, 2024, 204 pages, 16 euros.