
Menaces, insultes, cyberattaques, divulgation de données personnelles… En 2024, plus de 90 % des défenseurs du climat et de l’environnement ont été visés par des violences en ligne, selon une enquête menée par l’ONG Global Witness auprès de 204 activistes répartis sur six continents, publiée le mercredi 16 juillet.
Deux tiers des personnes interrogées déclarent craindre pour leur propre sécurité, et plus de la moitié pour celle de leurs proches. La plupart des agressions signalées se produisent sur les plateformes du groupe Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), loin devant X. Pourtant, seules 13 % des victimes disent avoir obtenu une réponse satisfaisante après avoir signalé les faits. (...)
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Parmi les 196 défenseurs de l’environnement assassinés en 2023, rares sont ceux dont le nom a franchi les colonnes de l’actualité. Pourtant, selon l’ONG Global Witness, leur mort s’inscrit dans une logique parfaitement documentée : celle d’un continuum de violences, amorcé presque systématiquement dans les espaces numériques. Menaces, campagnes de désinformation, intimidation ciblée : le cyberharcèlement devient une arme stratégique contre ceux qui s’opposent aux intérêts fossiles. À bas bruit, mais avec une efficacité croissante, il cherche à délégitimer, isoler et, parfois, réduire au silence. (...)
Un climat numérique toxique et organisé
D’après une enquête publiée en juillet par Global Witness, plus de 90 % des défenseurs du climat ont subi en 2024 des formes de violences en ligne : insultes, doxing, usurpation d’identité, diffamation. L’étude révèle également qu’une majorité de ces attaques se produisent sur les plateformes du groupe Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), tandis que seules 13 % des victimes ont reçu une réponse satisfaisante à leurs signalements.
Ce climat numérique de haine ne relève pas de simples dérives individuelles. Selon les chercheurs de Bodyguard, qui ont observé une progression de 16 % des contenus haineux cette année, il participe d’une dynamique de terreur psychologique. Les témoignages collectés évoquent stress chronique, troubles du sommeil, sentiment d’insécurité permanent. « Les attaques sont conçues pour démoraliser, décourager, créer l’isolement », précise Hannah Sharpe, cheffe de campagne chez Global Witness.
Des campagnes coordonnées, ciblées, souvent industrielles (...)
Le cas de l’ONG Bloom, spécialisée dans la défense des océans, en offre une démonstration. En juin 2024, sa fondatrice, Claire Nouvian, voit sa porte d’appartement vandalisée et son logo détourné dans une campagne d’affichage anonyme. En parallèle, un groupe WhatsApp baptisé « Bloombashing » rassemble plus de 600 membres – pêcheurs industriels, élus locaux, influenceurs anonymes – dans une dynamique offensive visant à « riposter » contre ses actions.
Des faux sites web apparaissent, comme « Dirty Bloom », accusant à tort l’ONG de collusion avec l’industrie pétrolière. Un soi-disant collectif breton, « Guardour », relaie cette narration sur les réseaux sociaux ; il s’avère enregistré à l’adresse d’une octogénaire vivant sur une île sans connexion. L’ensemble des signaux pointe une stratégie structurée, mêlant désinformation, harcèlement et sabotage, à la frontière de la guerre cognitive.
Les intérêts fossiles à la manœuvre
Ces campagnes ne relèvent pas du hasard. Depuis 1998, ExxonMobil a investi plus de 22 millions de dollars dans des groupes climatosceptiques, tout en dissimulant ses propres recherches sur le lien entre énergies fossiles et réchauffement climatique, connues dès les années 1980. D’après Greenpeace, les géants de l’énergie disposent d’un accès privilégié aux médias via la publicité, leur permettant de façonner les narratifs dominants.
Cette influence se conjugue à un lobbying particulièrement actif : plus d’un demi-million de dollars investis chaque jour auprès des institutions américaines et européennes. Dans ce contexte, les ONG écologistes deviennent une cible à neutraliser. La stratégie est double : décrédibiliser les porte-voix de la société civile et instaurer le doute sur leurs intentions.
Des plateformes permissives et des lois encore timides (...)
D’après l’étude Bodyguard, YouTube concentre à lui seul 8,3 % des contenus haineux détectés en 2024, suivi par X (ex-Twitter) à 6,5 % et Facebook à 5,5 %. En mai, Meta a annoncé la fin de ses partenariats de fact-checking aux États-Unis, un signal d’abandon qui inquiète les défenseurs de l’environnement. Le ministère français des Affaires étrangères a rappelé que « la liberté d’expression ne saurait être confondue avec un droit à la viralité des contenus mensongers ».
La loi SREN, adoptée en France en 2024, introduit des sanctions renforcées : bannissement numérique temporaire pour les auteurs de cyberharcèlement, amendes pouvant atteindre 250 000 euros pour les hébergeurs ne retirant pas les contenus signalés dans un délai de 24 heures. Mais ces mesures, bien qu’inédites, peinent à répondre à la sophistication des campagnes de haine, souvent transnationales et appuyées par des moyens considérables.
Résistances numériques
Face à ces menaces, certaines initiatives tentent de renforcer la résilience des ONG. L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) a intensifié ses formations en cybersécurité, en particulier pour les structures de la société civile. Le MOOC SecNumacadémie, accessible au grand public, diffuse une culture de la vigilance numérique.
À l’échelle internationale, des modèles émergent. Le réseau « Réfugiés pour l’action climatique », lancé lors de la COP29 avec le soutien du HCR, vise à offrir une visibilité et une protection accrue aux militants climatiques déplacés. Bien que centré sur les exilés, il ouvre la voie à une possible coordination mondiale pour la protection des défenseurs environnementaux.
Une dynamique de criminalisation généralisée (...)
Le cyberharcèlement ne constitue qu’un des visages d’une offensive plus large. Une étude de l’université de Bristol, publiée en décembre 2024, montre que dans 20 % des manifestations écologistes, des arrestations sont constatées ; dans 3 % des cas, des violences policières sont rapportées. La France y figure comme l’un des pays les plus répressifs à l’égard des militants écologistes.
Amnesty International France dénonce dans son dernier rapport une « stratégie d’attaques délibérées », impliquant lois anti-manifestations, criminalisation judiciaire via l’antiterrorisme, répression policière et campagnes de dénigrement médiatique. Ces dispositifs convergent vers un objectif clair : réduire l’espace civique des acteurs environnementaux.
La persistance et l’extension du cyberharcèlement contre les militants écologistes posent une question centrale : quelle place la démocratie accorde-t-elle à celles et ceux qui défendent l’intérêt collectif face à des intérêts privés polluants ? (...)
En 2023, la COP28 a accueilli plus de 2 400 lobbyistes issus des industries fossiles, contre une représentation bien plus faible des pays vulnérables. Ce déséquilibre structurel illustre la marginalisation systémique de la société civile environnementale dans les grands forums internationaux. Dans ce contexte, le silence forcé des militants devient une condition de l’inaction climatique.