
Depuis leur évacuation mardi 1er avril des quais de Seine, la centaine de jeunes qui avaient installé un campement de fortune sous les ponts Marie et Louis-Philippe, s’est "éparpillée" dans le nord de Paris et en banlieue. Une nouvelle invisibilisation qui inquiète les associations.
Le constat de Yann Manzi, fondateur de l’association Utopia 56 qui suit presque quotidiennement les "mineurs étrangers isolés" de la capitale, est teinté d’amertume et de colère : "Des années que le scénario se répète... Installation sur un bout de trottoir, démantèlement de ce bout de trottoir..."
Le dernier campement informel en date des jeunes expulsés de la Gaîté Lyrique - une succession de tentes installées sous le Pont Marie et le Pont Louis-Philippe - a été démantelé le 1er avril par les forces de l’ordre, suivant la logique qui prévaut depuis des années sur le territoire français du "zéro point de fixation".
Comme toujours, presqu’aucun de ces jeunes migrants sans papiers - qui attendent généralement leur rendez-vous devant un juge pour enfant à Paris pour faire reconnaître leur minorité - n’a accepté une solution de relogement en région. C’est pourtant la seule alternative proposée par la préfecture. "Ils n’iront pas dans ces lieux faits pour les majeurs", insiste Yann Manzi. "Alors ils s’évaporent avant ou pendant les démantèlements".
"Où sont-ils aujourd’hui ? Difficile de les recenser... Ils sont éparpillés un peu partout...", souffle le militant.
"Ils sont dans différents campements, ceux qui tiennent encore". Des petits camps dans les Hauts-de-Seine (92), en Seine-Saint-Denis (93), dans le nord de la capitale, dans le centre de Paris aussi, énumère Luc Viger, chargé du pôle mineurs isolés chez Utopia 56. "Il y a toujours des jeunes qui sont au niveau du métro Pont Marie, en plein cœur de Paris, mais ils démontent leur tente chaque matin et la remettent chaque soir".
Un "éparpillement" qui précarise toujours plus ces jeunes. "Tout devient compliqué quand ils sortent de nos radars. (...)
"Les autorités trouvent toujours des raisons de démanteler leurs camps"
La majorité de ces jeunes, généralement Ivoiriens, Maliens, Guinéens, âgés de 15 ans à 17 ans, sont en effet polytraumatisés. À l’enfer de leurs parcours migratoires, presque toujours émaillés de violences, de traversées de la Méditerranée, d’exactions en tout genre en Libye ou en Tunisie, se superpose aussi l’errance sans fin dans les rues de Paris. (...)
"Il y a toujours des raisons pour démanteler leurs campements. À chaque fois, on doit chercher de nouveaux endroits pour les installer et éviter le harcèlement policier. Mais pas trop éloignés non plus, pour ne pas qu’ils disparaissent de nos radars". (...)
Les associations regrettent qu’aucune solution pérenne ne soit apportée. (...)
"Les filles que nous suivons sont très fragiles, certaines ont des pensées suicidaires. Les garçons, bien plus nombreux, vont très mal. Certains s’isolent, s’éloignent de nous, puis sortent complètement de nos radars. Ils n’en peuvent plus, pour de multiples raisons", continue le militant. "Et là, quand on les perd totalement de vue, il y a le risque qu’ils tombent dans des réseaux de traite, de prostitution. Pourtant, nous sommes impuissants. Nos équipes de bénévoles sont limitées. Il faut gérer ces jeunes qui errent depuis des mois voire des années, et accueillir tous les primo-arrivants qui ne connaissent rien à Paris... On n’arrive pas à être sur tous les fronts".