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Les forçats de la téléréalité
#telerealite
Article mis en ligne le 19 juillet 2024
dernière modification le 16 juillet 2024

Avec Vivre pour les caméras : ce que la téléréalité a fait de nous (JC Lattès, 2024.), Constance Vilanova signe une enquête qui démonte le présupposé selon lequel les candidats de téléréalité seraient « payés à rien foutre ». Elle nous fait ici passer de l’autre côté du miroir pour réaliser que la flemme, mise en scène, est un travail éreintant.

Mars 2014. Une quinzaine de vingtenaires, affalés sur des transats sous un soleil écrasant sud-américain. Certains corps huilés se rapprochent. D’un côté de la terrasse, les micros bikinis cachent à peine les poitrines boostées aux implants mammaires, de l’autre les shorts de bain fluo dévoilent des plastiques bodybuildées et tatouées. Bienvenue sur NRJ12 dans la sixième saison des Anges de la téléréalité.
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De l’ennui vint l’audimat

Avant de se demander si les candidats sont de grosses feignasses, petite définition de ces émissions appartenant autrefois au registre des programmes « d’enfermement » et aujourd’hui « de vie collective ». À l’aube des années 2010, ces téléréalités inondent quotidiennement les chaînes de la TNT. Dans une maison de rêve, souvent à l’étranger, des caméras suivent une bande de jeunes qui enchaînent des missions caritatives ou professionnelles. (...)

Les participants doivent remporter une série d’épreuves, réussir dans le domaine professionnel, rencontrer l’amour, etc. Mais ils doivent surtout se clasher et coucher entre eux. Et ça cartonne niveau audience (...)

Les candidats de téléréalité sont nourris, logés, blanchis pendant le tournage qui s’étale de 3 semaines à 3 mois. Et selon leurs détracteurs, ils seraient payés à rien foutre. « Cette image méprisante est une construction qui n’a rien à voir avec ce qui se passe sur les tournages en termes de logistique, me raconte Maureen Lepers, docteure en cinéma et audiovisuel qui a lancé il y a deux ans à la Sorbonne-Nouvelle à Paris un cours consacré à la téléréalité. Ces morceaux de farniente sont des choix des boîtes de production. Elles construisent une image de vie rêvée, faite d’oisiveté, pour des candidats issus de milieux populaires, qui se retrouvent dans ces maisons luxueuses à profiter des vacances. » (...)

Et elle rappelle surtout : « Il y a un boulot monstre de la part des candidates pour trouver la bonne posture, les bons vêtements, le bon maquillage, le bon angle pour rester à l’image sans rien faire. »

Et oui, s’apprêter tous les jours, jouer des coudes pour attirer les caméras et trouver la petite phrase qui sera reprise sur les réseaux sociaux, c’est un taf. (...)

S’épuiser dans les temps morts

Victoria Carayon Dufaye est directrice d’agence de casting. Elle a assisté à de nombreux tournages. Elle insiste sur le contraste entre cette fainéantise aiguë montrée à l’écran et la charge de travail des candidats : « Sur un tournage, les rythmes sont très soutenus. Les candidats sont réveillés aux environs de 8 heures et les équipes débutent le tournage à 9 heures. Ça tourne toute la journée jusqu’à minuit et il y a des interviews jusqu’à 4 heures du matin. » Ce sont les fameuses séquences dites du « confessionnal », gimmick face caméra pendant lesquels les participants racontent leurs journées. Victoria Carayon Dufaye estime que « même si les candidats ne sont pas dans toutes les séquences, ils sont à l’affût et doivent être disponible à n’importe quel moment pour les sorties, interviews, activités à l’extérieur et doivent être force de proposition ». Il faut de la matière pour la boîte de production : une journée de tournage correspond à deux épisodes. Endurance donc, et manque de sommeil. (...)

ce qui épuise ce sont « ces temps morts, entre les différentes activités et l’installation des techniciens, du matériel. Tu te retrouves à attendre en boîte de nuit, à devoir avoir l’air enjoué en permanence, au max de ta sociabilité, et à boire du Red Bull pour tenir la longueur. » Et ça paye ? Rarement. Une poignée est parvenue à se bâtir un empire grâce à cette industrie. Certains paradent à Dubaï où ils ont fui leurs obligations fiscales. Pour les autres, le cachet des participants s’étale entre 200 et 1000 euros la journée, selon leurs notoriétés. 200 euros la journée de 15 heures minimum sous les caméras ? C’est deux euros au-dessus du SMIC horaire. (...)

C’est ici que la téléréalité marque une énième victoire du néolibéralisme médiatique. Les modèles de vie ultra-capitalistes prônés sont eux-mêmes enchaînés à des contraintes professionnelles extrêmes, tout en étant outrageusement mis en scène comme un mélange de feignasses ultimes et de grands vainqueurs du game social. L’aliénation totale est dans le pré…