
Alors que les inspecteurs généraux missionnés concluaient bien à un climat d’homophobie, de sexisme et d’autoritarisme dans l’établissement catholique, leur rapport a été modifié dans la dernière ligne droite, sans qu’ils en soient avisés. Nos révélations.
Comment faire dire à un rapport l’inverse de ce qu’il constate ? En changeant ses conclusions. C’est ce qui s’est passé concernant l’établissement scolaire Stanislas, institution privée catholique parisienne.
Alors que Stanislas est visé par plusieurs enquêtes de presse accablantes, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) diligente une enquête au sein de l’établissement en 2023. L’IGÉSR est alors dirigée par Caroline Pascal, devenue depuis directrice générale de l’enseignement scolaire, soit numéro deux du ministère de l’éducation.
Ce rapport, tenu secret mais que Mediapart révèle en 2024, dresse un constat sévère sur l’ambiance qui règne à Stanislas, même si ses conclusions s’avèrent bien prudentes : « Au terme de la mission, l’équipe ne confirme pas les faits d’homophobie, de sexisme, et d’autoritarisme mis en avant par les articles de presse. » C’est également la conclusion qui figure dans la courte lettre de mission accompagnant le rapport, envoyée, comme le veut l’usage, au ministre de l’époque, Gabriel Attal. (...)
Selon des informations obtenues par Mediapart, les conclusions initiales du rapport ont été trafiquées pour édulcorer l’ensemble, dans le dos des inspecteurs généraux chargés de l’enquête et de la rédaction du document. Dans un courrier que nous avons pu consulter, l’un·e de ces inspecteurs et inspectrices explique avoir ainsi découvert un projet de lettre de mission « expurgé d’un paragraphe conclusif lourd de sens et de conséquences, dédouanant le collège Stanislas », ce qu’ils n’auraient « jamais validé car il règne bien à Stanislas un climat homophobe, sexiste et autoritaire ». (...)
Stanislas blanchi
Ce sont pourtant bien ces conclusions du rapport et spécifiquement cette lettre qui seront ensuite utilisées sans relâche par le diocèse de Paris, la direction de l’enseignement catholique, Caroline Pascal et la ministre de l’éducation d’alors Amélie Oudéa-Castéra pour blanchir Stanislas. L’affaire étant entre-temps devenue explosive, après la révélation par Mediapart que la ministre de l’éducation, Amélie Oudéa-Castéra, y scolarisait ses propres enfants.
Ce paragraphe conclusif est par exemple cité abondamment par le directeur de Stanislas lui-même, sur les plateaux de télévision.
En clair, tous les éléments pointant ce climat n’apparaissent plus explicitement dans le rapport et surtout disparaissent des conclusions.
Une pratique manifestement inédite, au regard du fonctionnement de l’IGÉSR, très clair dans ses statuts sur l’indépendance des inspecteurs vis-à-vis de leur hiérarchie : « [Les inspecteurs généraux] rendent compte de leurs missions par des rapports qu’ils signent », explique le décret encadrant leur travail. Ces amendements correspondent-ils à une consigne de la haute hiérarchie de l’inspection générale et dans quel but ? Interrogée par Mediapart sur ces modifications de dernière minute, la patronne de l’IGÉSR de l’époque, Caroline Pascal, n’a pas répondu à nos questions.
Les versions définitive de cette lettre et du rapport, tous deux modifiés, ont été envoyées en août 2023 à Gabriel Attal et à sa directrice de cabinet, toujours sans que l’ensemble des inspectrices et inspecteurs généraux en soient avisé·es (...)
Amélie Oudéa-Castéra aussi y est allée à l’époque de son refrain : « Je précise que ce rapport ne remonte aucun fait d’homophobie ni aucun cas de harcèlement », assurait le 17 janvier la ministre, précisant cependant auprès de France Info qui l’interrogeait ne pas avoir lu le rapport en entier mais « une courte synthèse ».
La cheffe de l’inspection générale Caroline Pascal (nommée à la tête de l’IGÉSR par le ministre Jean-Michel Blanquer, lui-même un ancien de « Stan ») ne s’est pas tenue éloignée des médias dans ce contexte inflammable. Quelques heures avant que le directeur Frédéric Gautier ne débute sa série d’interviews dominicales, Caroline Pascal accordait un entretien au Journal du dimanche (JDD), hebdomadaire du milliardaire ultraconservateur Vincent Bolloré, sans en avoir préalablement averti le ministère. (...) .
Alertée par l’une des inspectrices de l’époque, la commission d’enquête parlementaire annonce ce mardi programmer de nouvelles auditions. « J’ai reçu un courrier d’une inspectrice de ce rapport qui nous apporte les éléments qui nous poussent à auditionner le corps d’inspection », a déclaré la présidente de la commission Fatiha Keloua-Hachi. On a des éléments qui prouvent que le rapport a été édulcoré. » Et d’ajouter : « Nous pourrons réentendre Caroline Pascal, car nous avons des éléments qui prouvent qu’elle n’a pas tout dit. »