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Le Rojava en sursis après la chute de Bachar Al-Assad
#Rojava #Kurdes #AANES #Syrie #democratie
Article mis en ligne le 18 janvier 2025

Après l’euphorie de la chute du dictateur, la région autonome du nord-est syrien est plongée dans l’inconnu. Son autonomie et son système politique sont menacés par le changement de régime et les combats qui continuent.

Un vent de liberté souffle sur la Syrie après cinq décennies de dictature sous le régime Assad père, puis fils. (...)

Pour d’autres, c’est la détresse qui prime à l’heure d’ouvrir les fosses communes et de dresser le bilan terrifiant de la politique d’extermination pratiquée par le régime contre ses opposants.

Dans la région autonome du nord-est syrien, où résident 4 millions d’habitants et l’essentiel de la population kurde du pays, l’euphorie de la chute d’Assad est teintée d’angoisse. « Depuis plus de 25 jours, des centaines d’obus traversent le ciel de notre village chaque jour », nous raconte Abu Dalshir [1] au téléphone, la voix étranglée par la peur.

Son village est sous le feu des groupuscules armés soutenus par la Turquie [2], qui profitent de la chute d’Assad pour avancer vers l’est de la Syrie. Pour Abu Dalshir, il n’y a aucun doute : « Ces attaques visent à chasser les Kurdes de leur zone. »

Sa peur est largement partagée dans la région autonome du nord-est syrien — plus connue sous le nom de Rojava [3] —qui s’étend des frontières de la Syrie avec l’Irak et la Turquie jusqu’aux rives de l’Euphrate.

Tout au long de la guerre civile, cette région habitée par une mosaïque de communautés (arabes, kurdes, syriaques, arméniennes, ou encore yézidies) a profité de l’affaiblissement militaire du régime Assad pour lui arracher une autonomie croissante, avec un mode de gouvernance démocratique très particulier. Mais cette expérience d’autogestion semble plus que jamais en sursis.

Depuis 2013, le nord-est de la Syrie est gouverné par l’Administration autonome du nord-est syrien (AANES) selon un modèle original de démocratie décentralisée, le confédéralisme démocratique. Sous ce modèle, conçu pour garantir un maximum d’autonomie à chacune des communautés de la zone, le territoire est divisé en « communes » qui s’autogèrent localement. Les postes clés sont occupés par un binôme homme-femme, assurant ainsi une parité représentative.

Une reconnaissance pour les Kurdes et les minorités

Sous l’égide de l’Administration autonome, le nord-est syrien a développé son propre système de lois et son cursus scolaire. Il est devenu la seule région du pays où le kurde et le néo-araméen sont reconnus langues officielles aux côtés de l’arabe, une véritable révolution dans un pays où 120 000 Kurdes avaient été déchus de leur nationalité par l’état syrien en 1962.

Ce système démocratique a été développé par Abdullah Öcalan, l’un des dirigeants emprisonnés du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) — une guérilla kurde, marxiste-léniniste à ses débuts, née en Turquie.

Pour le régime d’Erdogan, c’est aussi un territoire d’expérimentation où le PKK met en application certaines de ses idées politiques — au risque d’alimenter un imaginaire autonomiste chez les Kurdes de Turquie. Ankara bombarde régulièrement les positions des Forces démocratiques syriennes, la branche armée de l’Administration autonome, ainsi que son territoire.

Aujourd’hui, l’autonomie du nord-est syrien est plus que jamais menacée.

D’abord, sur le plan militaire (...)

Sur le plan politique, ensuite, la région autonome fait face à une pression très forte pour réintégrer une Syrie unifiée. Nouveau maître de Damas depuis la chute d’Assad, le chef du groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS) [4], Ahmad al-Sharaa, souhaite réunifier au plus vite les factions militaires du pays.

Enfin, l’Administration autonome est confrontée au risque de révoltes en interne, car son bilan après une décennie de pouvoir est plus que mitigé. Certes, la représentation des femmes et les droits des minorités ont incontestablement progressé grâce au confédéralisme démocratique. Mais derrière « les structures politiques officielles de l’AANES [qui] suivent bien le modèle confédéraliste, ce n’est pas nécessairement le cas des autres centres du pouvoir — économique ou militaire », explique Thomas Schmidinger.

Plus que le gouvernement autonome, ce sont les cadres du parti dominant et le commandement des Forces démocratiques syriennes qui tranchent sur les sujets clés. Or, ces dernières ont commis des exactions pendant la guerre contre des opposants, des journalistes et des civils (notamment la confiscation de leurs biens).

Face à ces dérives, un ressentiment palpable s’est installé notamment dans les zones arabes de la province de Raqqa ou Deir-e-Zor, où certaines tribus se sont révoltées à plusieurs reprises contre l’Administration autonome. (...)

Pour nombre d’habitants du nord-est, il est hors de question d’abandonner l’autonomie si chèrement acquise. Même si, comme le rappelle Thomas Schmidinger, l’Administration autonome n’a jamais cherché à obtenir l’indépendance : « Ils ont toujours considéré qu’ils faisaient partie de la Syrie. »

Mais les Kurdes et leurs alliés craignent de passer sous le contrôle de groupes hostiles, comme les factions soutenues par Ankara, qui ont brutalisé et poussé à l’exil les minorités kurdophones vivant dans les zones sous leur contrôle pendant la guerre. (...)

Dans l’immédiat, la survie de la région autonome se joue au gré des rapports de force sur le terrain : la capacité des Forces démocratiques syriennes à résister à l’avancée de leurs ennemis, celle du gouvernement autonome à contrôler sa zone, et la volonté des Occidentaux de soutenir leurs alliés kurdes qui ont joué un rôle clé dans la lutte contre Daech. (...)