
Alors que le premier ministre, Michel Barnier, a annoncé sa volonté de construire de nouvelles places de prison, l’administration pénitentiaire tente depuis deux ans de promouvoir le placement extérieur, un aménagement de peine qui concerne aujourd’hui quelque mille détenus seulement.
(...) Depuis sa sortie, en mars, Fouad se sent « optimiste » et veut croire qu’une autre vie est désormais possible. Pour la première fois depuis bien longtemps, il occupe un logement individuel – un deux-pièces situé dans le centre de Lyon – et bénéficie d’un accompagnement social soutenu. En contrepartie, il doit respecter certaines obligations, notamment concernant ses déplacements. « Au début, je ne pouvais sortir qu’entre 8 heures et midi, maintenant, c’est jusqu’à 15 heures. » (...)
Créé il y a quarante ans, le placement extérieur a été marginalisé au fil des décennies, au profit d’autres aménagements de peine comme la surveillance électronique. Il s’agit, aujourd’hui, de l’alternative à l’incarcération la moins prononcée par les juges. Elle concerne à peine 1 000 détenus, contre 15 000 pour le bracelet électronique. Cela représente seulement 5 % des aménagements de peine, selon des chiffres transmis par la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP).
« Cela fait quatorze ans que je travaille sur cette matière et je n’ai jamais vu autant d’efforts déployés pour développer le placement extérieur », assure pourtant Stéphanie Lassalle, responsable du pôle « accompagnement des personnes condamnées » au sein de la fédération nationale Citoyens et Justice, qui réunit une quarantaine d’associations mettant en œuvre cette mesure. (...)
Depuis 2022, l’administration pénitentiaire, confrontée à des taux de surpopulation carcérale jamais atteints – un nouveau record a été franchi avec 78 969 personnes incarcérées au 1er septembre –, tente de lever les obstacles au développement de cette mesure méconnue. « On effectue un travail de promotion », résume Romain Emelina, chef du département des parcours de peine au sein de l’administration pénitentiaire.
Pour y parvenir, la DAP a notamment lancé, en janvier 2023, une plateforme baptisée PE360°. Accessible au personnel pénitentiaire, aux magistrats, aux associations et bientôt aux avocats, elle permet de connaître en temps réel le nombre de places disponibles en France pour un placement extérieur (il y en a environ 2 000 actuellement). Et de saisir, par la même occasion, l’inégalité territoriale de l’offre. (...)
Le taux de remplissage des structures d’accueil, comme Le Mas, ne dépassant pas les 50 %. Comment l’expliquer ? « Ce qui dessert le placement extérieur, c’est son caractère multiforme, c’est un travail de dentelle. On ne sait pas ce que c’est avant de s’être rapproché d’une structure, répond Stéphanie Lassalle. Les magistrats doivent appréhender cette mesure qui repose sur de l’humain, ils doivent aussi faire confiance aux conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, qui eux-mêmes doivent faire confiance aux associations. »
Il faut ajouter à cela des vacances de postes parmi les magistrat·es et au sein des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), sans parler du secteur associatif mal en point. (...)
Pour la première fois depuis 2006, le prix à la journée a été revalorisé, passant ainsi de 35 à 45 euros. Le budget alloué au placement extérieur a augmenté de 67 % entre 2022 et 2023, maintenu en 2024. (...)
Un effort louable, mais insuffisant, selon les associations, qui demandent que le tarif à la journée soit remplacé par une dotation globale. (...)
Le nouveau premier ministre Michel Barnier a par ailleurs envoyé des signaux contradictoires, mardi 1er octobre, lors de son discours de politique générale, en annonçant vouloir construire davantage de places de prison, limiter les possibilités d’aménagement de peines, mais aussi « diversifier les formes d’enfermement ». (...)
Grâce à ses remises de peine, Fouad retrouvera d’ici quelques semaines une totale liberté de mouvement. Il n’aura plus à respecter d’horaires, ni à rendre de comptes à l’association Le Mas. Mais il continuera de bénéficier de l’accompagnement social et du logement proposé par le centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), principal partenaire de l’association. « Quand la mesure de placement extérieur prend fin, on fait le choix de ne pas remettre les gens à la rue. Fouad continuera donc à occuper l’une des quinze places que nous réserve le CHRS, mais on n’aura plus de financement », explique Tom Aucouturier.
Pour continuer de promouvoir cet aménagement de peine et démontrer son efficacité, la fédération Citoyen et Justice a décidé de lancer une enquête pour suivre les personnes accueillies, six mois et douze mois après leur sortie du dispositif. De quoi mesurer, aussi, les économies découlant de leur réinsertion.
Une étude menée en 2018 par la fédération montrait déjà que 51 % des personnes arrivées au terme de la mesure étaient en situation d’emploi, 75 % de ceux qui avaient besoin d’un traitement médical l’avaient mis en place, et la part de personnes sans ressources était tombée à 11 %. Seuls 4 % avaient commis de nouvelles infractions au cours de leur placement. Pour rappel, en 2022, dans le cas d’un passage en prison ordinaire, le taux de récidive dans les cinq ans dépassait 40 %.