
L’idée que l’extraction minière soit nécessaire à la transition écologique est, rappelle notre chroniqueuse Celia Izoard, une aberration totale. Et doit pousser le mouvement climat à devenir franchement anti-extractiviste.
L’extraction minière est l’un des principaux agents du réchauffement climatique (8 % des émissions) et de la déforestation. C’est la première productrice de déchets au monde. Elle est à l’origine d’une contamination des milieux qui menace la santé de 23 millions de personnes dans le monde — bref, c’est l’industrie la plus polluante que l’on connaisse. Pourtant, depuis quelques années, la Banque mondiale le martèle : « L’extraction de ressources minérales est un complément et non un obstacle à la construction d’un avenir plus vert et plus durable. »
Cette dernière citation est extraite d’un rapport de la Banque mondiale de 2017. Il a été rédigé en partenariat avec l’International Council on Mining and Metals, un regroupement des principales entreprises minières occidentales : BHP, Rio Tinto, Anglo American, Vale, Orano… C’est précisément de ce rapport que date l’idée que les mines sont indispensables pour sauver la planète. (...)
Miner des métaux pour maintenir un mode de vie (...)
pour électrifier uniquement les 39 millions de véhicules qui circulent en France, il faudrait plus d’un an de production mondiale de cobalt, et près de deux ans de production mondiale de lithium. L’industrie minière est ravie, la voilà propulsée en avant-garde de l’écologie. En 2021, la Banque mondiale, Rio Tinto et Anglo American ont peaufiné la démonstration grâce à un nouveau rapport et une campagne de communication intitulée « Climate-smart mining ». Même message : soutenir les entreprises minières est « la seule solution pour bâtir un avenir bas carbone ». (...)
Ce plan ne marche que si les mines n’émettent pas de CO2, si les mines ne déforestent pas, si les mines n’aggravent pas les effets du réchauffement climatique en polluant le peu d’eau disponible. Les entreprises minières répondent que c’est comme si c’était fait. Les États misent sur leur bonne foi. C’est à ce genre de pari qu’a été suspendue la possibilité de limiter le réchauffement climatique, le problème le plus grave auquel sont confrontés les habitants de cette planète. (...)
Inutile d’entretenir le suspense jusqu’en 2050 : le pari n’est pas tenable. La mine industrielle ne peut pas devenir l’amie du climat et de l’environnement. Ce n’est pas un problème de bonne volonté, c’est un problème systémique. Même si les entreprises étaient parfaitement intègres, pleinement engagées pour minimiser leurs dégâts, on ne peut pas exploiter des gisements contenant en moyenne 0,5 % de cuivre, 0,2 % d’uranium, 0,013 % d’argent sans détruire des milieux à grande échelle, consommer des quantités d’eau et d’énergie considérables. Aucune mine aujourd’hui ne parvient à se passer de combustibles fossiles. Aux stades de production ultérieurs, on ne sait pas non plus affiner des métaux sans charbon, gaz ou pétrole. (...)
Cette nouvelle fonction salvatrice justifie la mise en place de régimes d’exception destinés à accaparer des terres restées collectives, la violence des frontières extractives est décuplée : en Indonésie, en Inde, en Afrique centrale, en Amazonie, en Papouasie… (...)
En Europe, la nouvelle loi sur les matières premières donne carte blanche aux entreprises minières sur le continent et dans les pays « partenaires », comme l’illustre une excellente étude de Corporate Europe Observatory et de l’Observatoire des multinationales. La transition est devenue le cache-sexe de la géostratégie des matières premières, auréolant des enjeux purement industriels, comme celui du titane dont a besoin Airbus pour produire ses avions.
Elle permet au lobby mondial des mines d’or, le World Gold Council, d’affirmer : « Nous avons besoin de minéraux pour décarboner l’économie, et l’or fait partie de cette solution. » (...)
Sortir de cette cosmologie extractiviste (...)
La catastrophe climatique et l’effondrement de la biodiversité sont le résultat de deux siècles d’une économie fondée sur l’extraction de métaux, de charbon, de pétrole. La mine est la matrice des valeurs et des pratiques occidentales qui nous ont portés au désastre actuel (...)
Rien ne pourra changer tant que demeurera intacte cette cosmologie extractiviste qui structure notre rapport au monde. C’est la raison pour laquelle le mouvement climat doit devenir anti-extractiviste.