Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Le « gastro-nationalisme » italien met un coup d’arrêt au Nutri-Score en Europe
#alimentation #Italie #CommissionEuropéenne #extremedroite
Article mis en ligne le 1er janvier 2024
dernière modification le 31 décembre 2023

Au prétexte de la défense des produits italiens, le gouvernement de Giorgia Meloni et l’extrême droite italienne ont bloqué au niveau européen le processus de choix de l’étiquetage nutritionnel à cinq couleurs permettant de guider les consommateurs vers des achats plus sains.

L’étiquetage nutritionnel aux cinq couleurs, adopté par la France en 2017 mais facultatif, validé par la suite par six autres pays européens, ne sera pas présenté par la Commission européenne au Parlement en 2023.

Inscrit en 2020 à l’agenda du « Pacte vert » de la Commission européenne et de sa stratégie « Farm to Fork » – « De la ferme à la table » –, le choix d’une étiquette nutritionnelle sur le devant de l’emballage – « Front-of-pack nutrition labelling » (FOPNL) –, approuvé par le Parlement en octobre 2021, devait initialement se concrétiser en 2022.

La présidente du Conseil italien, qui soutient que le logo « pénalise » les produits traditionnels italiens, en a fait un thème de campagne politique en Italie, où des militants de Fratelli d’Italia (FI) ont multiplié les « flashs mobs » et les rassemblements de rue derrière des banderoles qui proclamaient « prodotto italiano = qualità », « no al Nutri-Score ». En réalité, les jambons et fromages italiens, aussi riches en sel ou en graisses que les produits français ou espagnols, affichent les mêmes scores défavorables, moins pour faire fuir le consommateur que pour l’inciter à réguler sa consommation. (...)

En parallèle de ses manifestations italiennes, Giorgia Meloni a orchestré un puissant lobbying à Bruxelles et à Strasbourg. Le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc) et l’ONG Foodwatch ont récemment dévoilé les procès-verbaux des audiences obtenues en 2022 à la Commission européenne par différents lobbys de l’agro-industrie, qui font apparaître au grand jour l’opération d’influence de l’Italie vis-à-vis de la Direction générale agriculture (DG Agri) et du commissaire européen à l’agriculture, Janusz Wojciechowski. (...)

Une gouvernance transnationale du logo nutritionnel, composée des autorités de santé des sept pays qui l’ont autorisé (Belgique, France, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne et Suisse), a validé une nouvelle version de l’algorithme qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2024. Les calculs vont notamment évoluer suivant leur teneur en sel et sucres ou en fibres et s’annoncent « beaucoup plus pénalisants » pour les industriels, selon l’initiateur du logo.

De son côté, l’Italie a obtenu le ralliement de plusieurs pays à son front du refus : la Roumanie, le plus intransigeant d’entre eux, la République tchèque, la Grèce, la Lettonie, la Hongrie et Chypre. (...)

« Dans les procès-verbaux que nous avons analysés, nous voyons que l’Italie a prétendu que le Nutri-Score n’est pas scientifique, ce qui est faux, que les consommateurs ne savent pas comment l’utiliser, ce qui est faux, explique Emma Calvert, porte-parole du Beuc. Ce qui est incroyable, c’est qu’ils ont prétendu que le Nutri-Score et la mauvaise notation des pâtes à tartiner allaient pénaliser les producteurs de cacao et augmenter l’immigration en Europe ! » (...)

Nommé ministre de l’agriculture un mois plus tôt, le beau-frère de Meloni participe le même jour à sa première réunion avec ses homologues des 27 États membres de l’UE à Bruxelles. Lors d’un point presse, il tacle aussitôt le logo nutritionnel. (...)
Dès le mois de janvier, Lollobrigida annonce aux administrateurs du Consortium de protection du Grana Padano, à Desenzano del Garda, qu’il a, ni plus ni moins, « obtenu le report à 2024 du processus Nutri-Score », qui a été « retiré de l’agenda européen ». « Le Grana Padano est une excellence dont nous sommes fiers et que nous continuerons à défendre par les faits, déclare-t-il. Toutes les actions que nous menons avec le gouvernement Meloni, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières nationales, vont dans ce sens. »

Le nationalisme gastronomique du dirigeant d’extrême droite ne se dément pas sur les réseaux sociaux, où il exalte le « made in Italy », la journée de la pizza ou celle des pâtes. (...)

Depuis Paris, Serge Hercberg, l’inventeur du logo nutritionnel, voit le tweet du ministre italien et saute au plafond : « En un seul tweet destiné à discréditer Nutri-Score, le ministre de l’agriculture véhicule pas moins de 9 fake news. »

Sur Twitter (aujourd’hui X), le scientifique en dresse la liste (...)

Le ministre a donc écrit n’importe quoi.

Les commentaires de Serge Hercberg passent mal sur les réseaux sociaux italiens, noyautés par l’extrême droite. (...)

Le ton de la campagne anti-Nutri-Score a été donné dès 2019 par Matteo Salvini. « À Bruxelles, on veut nous imposer quoi manger. Le Nutri-Score est une connerie folle », « Que personne ne se hasarde à mettre hors la loi les produits de notre mer et de notre terre ! », a averti le leader de la Lega. « Nous avons toujours été attentifs à la défense de notre agriculture, justifie Giorgia Meloni. Nous sommes un parti de patriotes et la patrie est la terre des pères, non seulement comprise comme un lien d’appartenance culturelle mais aussi comme un amour pour la terre, le magnifique territoire que le bon Dieu nous a donné. » (...)

Silvia Sardone, une eurodéputée de la Lega, apparentée au groupe Identité et Démocratie (ID) du Parlement européen – auquel appartient le Rassemblement national (RN) –, s’est déplacée en France pour tenter d’y démontrer l’existence d’un « complot » contre les produits italiens. (...)

Le gastro-nationalisme rend aveugle. D’ailleurs, l’eurodéputée qui montre le rayon des pâtes fabriquées en France et siglées « A » ne jettera pas un œil sur les pâtes italiennes, qui sont, elles aussi, classées « A ».

L’opposition au Nutri-Score de l’extrême droite italienne a infusé dans d’autres partis politiques, chez les alliés de Meloni, mais aussi au Partito democratico (gauche), entraînant des personnalités liées à l’agro-industrie (...)

En revanche, un rapport du Joint Research Center (JRC) de la Commission européenne, synthétisant 173 articles scientifiques, a confirmé en 2022 l’intérêt du Nutri-Score pour « encourager les achats alimentaires plus sains ». « Les étiquettes plus simples, évaluatives et munies d’un code couleurs sont plus facilement comprises que les étiquettes plus complexes, réductrices et monochromes », a conclu le rapport. Le logo aux cinq couleurs a non seulement « le potentiel de guider les consommateurs » vers des régimes alimentaires meilleurs, mais aussi celui de « stimuler la reformulation et l’innovation des produits alimentaires ».

Le Beuc espère que le blocage du processus par l’Italie sera dénoué. Mais il n’est pas sûr, loin de là, que les élections européennes permettent de marginaliser les partis populistes et nationalistes aujourd’hui à l’offensive. (...)