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France24
Le conflit Israël-Iran, dernier clou planté dans le cercueil de l’ordre mondial
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #Iran
Article mis en ligne le 21 juin 2025

Le soutien occidental à Israël contre l’Iran s’inscrit dans une logique d’intervention "préventive" qui, selon ses détracteurs, contribue à l’érosion du droit international mis en place après la Seconde Guerre mondiale. Ce glissement vers une forme de "loi de la jungle", où la force prime sur le droit, pourrait avoir des conséquences graves pour la stabilité mondiale et la coopération entre États.

Tout au long du conflit à Gaza, les dirigeants ultranationalistes israéliens ont ignoré les preuves croissantes de crimes de guerre commis dans l’enclave palestinienne - preuves qui ont conduit la Cour pénale internationale (CPI) à émettre un mandat d’arrêt contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu en novembre dernier.

Des ministres de premier plan ont ouvertement prôné le déplacement forcé de la population gazaoui ainsi que le démantèlement de la Syrie. Le Premier ministre a par ailleurs évoqué dans des entretiens accordés à des médias américains l’éventualité d’un assassinat du guide suprême et d’un changement de régime à Téhéran.
Ironie de la situation, cette rhétorique rapproche Israël du ton belliqueux qui caractérise traditionnellement son ennemi juré, l’Iran - à la différence que l’État hébreu possède l’arme nucléaire et une armée capable de mettre ses menaces à exécution.

Selon H. A. Hellyer, chercheur principal au Royal United Services Institute (Rusi) à Londres, cette escalade majeure est "une conséquence naturelle de l’impunité qui règne dans la région depuis deux ans".

"Le fait qu’Israël n’ait subi aucune conséquence pour ses violations répétées du droit international envoie un message clair : s’il décide d’aller plus loin, il le peut", explique-t-il. "Et il sait qu’il peut compter sur les acteurs les plus puissants de la communauté internationale pour ne rien faire - ou pire, pour l’encourager".
"Nouveau Moyen-Orient"

La première conséquence de cette impunité est la souffrance immense infligée aux populations civiles, notamment à Gaza. (...)

Plus insidieuse, l’autre répercussion majeure a été "l’érosion accélérée de l’ordre international fondé sur des règles, mis en place après la Seconde Guerre mondiale", souligne Karim Émile Bitar, spécialiste du Moyen-Orient à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et professeur invité à Sciences Po. (...)

Benjamin Netanyahu a présenté les actions d’Israël comme l’avènement d’un nouveau Moyen-Orient, une expression qui hante la région depuis la guerre d’Irak en 2003, lorsque les États-Unis et leurs alliés ont tenté de remodeler la région avec des conséquences catastrophiques.

"Certains critiques de l’Iran jubilent, y voyant les ’douleurs de l’enfantement’ de ce nouveau Moyen-Orient. En réalité, nous sommes dans une spirale de violence, alimentée par un climat d’impunité qui autorise des actes de représailles sans sanction", estime H. A. Hellyer.

"Il n’est pas nécessaire d’être un admirateur du régime iranien, du Hezbollah ou du Hamas pour voir que cette dynamique est profondément déstabilisatrice pour la sécurité régionale, ajoute-t-il. Mais elle a aussi d’énormes conséquences pour l’ordre mondial. Car cela signifie qu’il n’y a plus d’ordre fondé sur des règles, mais bien la loi du plus fort. Et cela devrait nous inquiéter au plus haut point."

Course aux armements (...)

Parmi les conséquences possibles, une course aux armements régionale visant à réduire l’écart avec Israël. Dans le cas de l’Iran, plusieurs analystes estiment qu’une poussée vers l’arme nucléaire est désormais probable, soit le résultat exactement opposé au but officiellement affiché par Israël. (...)

"L’attaque israélienne rend l’Iran extrêmement vulnérable. Sa dissuasion conventionnelle a échoué, et je pense qu’on verra de plus en plus d’appels internes à se doter de l’arme nucléaire", affirme Daryl Kimball, de l’Arms Control Association aux États-Unis.

Contrairement aux affirmations israéliennes, il souligne que les agences de renseignement occidentales estiment toujours que l’Iran ne cherche pas activement à militariser son programme nucléaire.

Des voix s’élèvent déjà en Iran pour demander un retrait du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), rappelle Daryl Kimball.

"Bombarder l’Iran revient à s’assurer qu’il tentera cent fois plus d’acquérir l’arme nucléaire, car il estimera qu’il n’existe aucun ordre fondé sur des règles, seulement la menace de la force et la destruction mutuelle assurée", juge H. A. Hellyer. (...)

Aujourd’hui, il n’y a même plus cette façade. Nous sommes revenus à une realpolitik bismarckienne, où la force précède le droit, dans un monde dominé par des leaders nationalistes et autoritaires à la Poutine ou Trump."

"Dans ce contexte, les rares personnes qui continuent de défendre le droit international sont vues comme des idéalistes hors sol", déplore le chercheur.

Si l’attaque israélienne contre l’Iran a suscité de nombreuses condamnations à travers le monde, le discours des capitales occidentales est resté ambigu, mettant souvent en avant le droit d’Israël à se défendre avant toute référence au droit international.

Quelques heures après la première vague de frappes, le président français Emmanuel Macron, dont le sommet prévu sur la solution à deux États a été reporté à cause de la guerre, a immédiatement tenu l’Iran pour responsable, ajoutant que la France était prête à défendre Israël si nécessaire. (...)

Le chancelier allemand Friedrich Merz est allé plus loin en estimant qu’Israël faisait "le sale boulot pour nous tous face au régime iranien". Des propos qui ont provoqué un tollé dans un pays traditionnellement attaché à la voie diplomatique.

Dans une tribune publiée lundi dans le journal britannique The Guardian, Ben Saul, professeur de droit international basé à Sydney, dénonce l’absence de fondement juridique au droit de légitime défense invoqué par Israël dans ce conflit, et les dangers que cela représente.

Il qualifie l’attaque d’Israël contre l’Iran de "nouvel épisode de violence préventive illégale", citant également la récente destruction de bases militaires syriennes, alors que les nouvelles autorités syriennes n’avaient pas attaqué I’État hébreu.

"Le risque d’abus de la légitime défense ’anticipée’ est trop élevé, trop dangereux, pour que le monde l’accepte", écrit-il. "De nombreux pays entretiennent des relations hostiles. Autoriser chacun à décider unilatéralement quand frapper l’autre revient à ouvrir la voie au chaos mondial et à la mort injustifiée de milliers d’innocents".

L’ordre mondial déstabilisé (...)

Les institutions fondées après la Seconde Guerre mondiale pour préserver un ordre basé sur des règles juridiques n’ont pourtant pas été inactives. Depuis le début de la guerre à Gaza, la Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice ont multiplié les procédures : cette dernière a rendu plusieurs décisions en 2024 pour alerter sur un risque de génocide et exiger l’arrêt des opérations israéliennes dans le sud de Gaza.

Mais ces institutions n’ont aucun pouvoir de contrainte si les puissances mondiales refusent de coopérer.

Lorsque la CPI a émis un mandat d’arrêt contre Netanyahu, l’ancien président américain Joe Biden a dénoncé une décision "scandaleuse". Son successeur a pour sa part franchi un cap en émettant un décret autorisant des sanctions contre la CPI, qu’il accuse d’actions illégitimes contre les États-Unis et "leur proche allié Israël".

L’administration Trump s’est également retirée de plusieurs organes de l’ONU et en a réduit considérablement le financement, créant une situation où, selon Brian Brivati, professeur invité à l’université Kingston, un pilier de l’ordre mondial d’après-guerre en attaque un autre.

"Le principal fondateur de l’ONU est désormais en train de saboter l’institution de l’intérieur, en usant de son droit de veto au Conseil de sécurité pour bloquer toute action, tout en l’asphyxiant financièrement", estime Brian Brivati.

"La combinaison d’un État agissant en toute impunité et d’une superpuissance qui neutralise les mécanismes de responsabilité marque un tournant historique. D’autres puissances mondiales, dont la Russie et la Chine, profitent de cette brèche pour s’émanciper de l’ordre occidental", ajoute-t-il.

La désintégration de ce système pourrait avoir des conséquences dramatiques pour la stabilité mondiale, avertit H.A. Hellyer, qui souligne l’importance cruciale de la coopération et du droit international face aux grands défis à venir. (...)