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« Le chantier de la démesure » : des physiciens veulent creuser un tunnel de 91 km sous les Alpes
#Alpes #chantier #laboratoire #gigantisme
Article mis en ligne le 22 février 2025
dernière modification le 17 février 2025

Peut-on construire un gigantesque tunnel au nom de la science ? Entre la France et la Suisse, un laboratoire de physique prévoit un anneau de 91 km à 200 m de profondeur. Son coût, économique et écologique, est colossal.

Pourquoi un laboratoire de physique situé dans la banlieue de Genève à 30 km de là, viendrait-il faire des trous dans un verger en Savoie ? Et, au nom de la science, faut-il accepter son coût : 16 milliards d’euros, 19 millions de tonnes de déchets excavés auxquels s’ajoutent les allers-retours polluants de camions, une consommation électrique équivalent à celle d’une ville de 700 000 habitants...

Un laboratoire de renommée mondiale (...)

Situé à la frontière franco-suisse, le Cern est le plus grand laboratoire de physique au monde. On y étudie l’« infiniment petit », les particules élémentaires, c’est-à-dire la façon dont la matière est structurée. Légendaire chez les physiciens, moins connu du grand public, il a bénéficié d’une exposition médiatique importante en 2012 avec l’observation du Boson de Higgs, une découverte scientifique majeure couronnée d’un prix Nobel. (...)

En 1964, trois physiciens émirent une hypothèse : un champ invisible emplirait tout l’univers. Le voir, en sonder la matière, permettrait de comprendre certains phénomènes comme le Big Bang et la formation de l’univers. « En physique, la preuve, c’est l’expérience », dit le physicien Étienne Klein. Il a fallu quarante-huit ans pour démontrer la validité de cette hypothèse. Le microscope permettant de sonder l’infiniment petit est un gigantesque anneau souterrain dans lequel les scientifiques font se fracasser les particules les unes contre les autres : un collisionneur. (...)

Le Cern envisage désormais de construire un accélérateur encore plus grand, de 90 km de circonférence. Situé à 200 mètres sous terre, le Futur collisionneur circulaire (FCC) passerait sous le lac Léman, mais la majorité de son tracé se situerait en France. En surface, huit sites, couvrant 150 hectares en tout, majoritairement en Savoie, permettraient d’y accéder. (...)

Jérémie est aussi maire de la commune de Minzier. Il y a deux ans, il a été convoqué à une réunion avec la préfecture à propos du projet du Cern. « Là, je tombe des nues : un tunnel de 90 kilomètres de circonférence, dix ans travaux et des millions de tonnes de déchets ! »

En tant qu’élu, Jérémie a pris un arrêté pour interdire les forages. Deux jours après, un envoyé de la préfecture a débarqué à la mairie et a insisté sur l’importance du projet : « C’est le pot de terre contre le pot de fer, dit le maire. J’ai dû reculer. » (...)

Scientifiques en rébellion

Laurent Husson est géophysicien à l’université de Grenoble. Membre des Scientifiques en rébellion, il pointe le gigantisme du projet : « C’est le chantier de la démesure. Huit millions de mètres cubes de roche excavées, soit l’équivalent de quatre pyramides de Khéops. Quatre terawatt-heures de consommation électrique, l’équivalent de la production d’un réacteur nucléaire ou de la consommation d’une ville de 700 000 habitants ».

Autre aspect important : habituellement, en physique, les expériences viennent confirmer ou non une théorie. Or « le FCC n’est pas adossé à un fondement théorique qui demande à être testé. Rien ne garantit que l’augmentation de la puissance ouvre de nouvelles perspectives », dit le chercheur. Une opinion partagée par des physiciens dénonçant des « concepts flous », voire un « pari ». C’est sur ces arguments que l’Allemagne, qui participe pour un cinquième du budget annuel du Cern, a décidé de se retirer du projet FCC. (...)

Scientifiques en rébellion

Laurent Husson est géophysicien à l’université de Grenoble. Membre des Scientifiques en rébellion, il pointe le gigantisme du projet : « C’est le chantier de la démesure. Huit millions de mètres cubes de roche excavées, soit l’équivalent de quatre pyramides de Khéops. Quatre terawatt-heures de consommation électrique, l’équivalent de la production d’un réacteur nucléaire ou de la consommation d’une ville de 700 000 habitants ».

Autre aspect important : habituellement, en physique, les expériences viennent confirmer ou non une théorie. Or « le FCC n’est pas adossé à un fondement théorique qui demande à être testé. Rien ne garantit que l’augmentation de la puissance ouvre de nouvelles perspectives », dit le chercheur. Une opinion partagée par des physiciens dénonçant des « concepts flous », voire un « pari ». C’est sur ces arguments que l’Allemagne, qui participe pour un cinquième du budget annuel du Cern, a décidé de se retirer du projet FCC. (...)

C’est aussi au Cern, qu’en 1972, le célèbre mathématicien Alexandre Grothendieck, titulaire de la médaille Fields, a donné une conférence restée célèbre. Il avait démissionné de son poste après avoir découvert que l’institution pour laquelle il travaillait recevait des financements militaires.

Il revendiqua de ne plus faire de recherche pour ne pas participer au désastre en cours et interpella ses collègues sur leur « responsabilité scientifique » en posant ette question : « Allons-nous continuer la recherche scientifique ? » Aujourd’hui, pour Laurent, des Scientifiques en rébellion, à défaut d’arrêter la science, « les limites planétaires doivent aussi s’appliquer à la recherche ».