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Le chandelier - Comment rester humain ?
#Israel #Hamas #Palestine #Gaza #Cisjordanie
Article mis en ligne le 14 novembre 2023
dernière modification le 12 novembre 2023

À l’heure où, en France notamment, des agressions antisémites physiques, verbales ou écrites, s’autorisent du martyre des Palestiniens, tandis qu’une islamophobie débridée s’autorise des victimes israéliennes, jusque dans de grands médias de masse, alors que ces récupérations instrumentales franco-françaises en viennent à occulter et piétiner les victimes d’un massacre toujours en cours, l’extrait qui suit nous parait la meilleure des introductions aux réflexions de Noëlle Cazenave-Liberman : « S’il ne devrait y avoir aucune injonction faite aux Juif.ves du monde de se prononcer sur les actions de l’État d’Israël – qui lui pourtant revendique de parler “au nom des Juif.ves” –, au même titre qu’il ne devrait y avoir aucune injonction faite aux Musulman.es de faire valoir un “pas en mon nom” lorsqu’il y a des attentats terroristes islamistes, il n’est pas possible d’ignorer, sinon l’importance du nombre (au regard de la communauté juive américaine), du moins la forte visibilité des Juif.ves américain.es manifestant pour les droits des Palestinien.nes, voire clairement contre le sionisme ». C’est dans ce sillage qu’a voulu se placer l’autrice, parce que, même si de nombreux mots sont redoutablement piégés, le silence peut être plus redoutable encore.

« Voilà le projet humain : créer la justice » Edward Bond [1]

Il n’y a pas de judéité en moi. Ni éducation ni culture traditionnelle ni religion ne m’ont été transmises. Ce qui a été transmis, de générations en générations, de façon irréfragable, c’est la dépression. Profonde, abyssale. Sans doute, ce qu’il y a de plus juif en moi est cet inconscient, trusté par la névrose caractérisée de ma mère, dont la mère, la tante, la grand-mère et le grand-père ont été cachés en Ardèche, vivant à une seconde près de l’arrestation et la déportation. Ce qui a été transmis ce sont ces arbres généalogiques, avec leurs mots rédigés sous des vieilles photos : mort à Auschwitz, convoi n°... ; mort en Lettonie, (lieu ?) Shoah par balles. Et puis la généalogie qui s’est perdue, celle de l’extermination des juifs de Pologne ou de Crimée.

Alors je ne sais pas pourquoi de mon cerveau accablé de dégoût, épouvanté par l’infamie, jaillit, chaque fois, ce cri, la honte chevillée à ma révolte : « Ils ne sont pas juifs ! » ? « Ces barbares ne peuvent pas être juifs ». Pourquoi cette fièvre viscérale qui me traverse, chaque fois ?

Dans mon souvenir, seule ma grand-tante me disait « tu sais on est juifs », en chuchotant, même chez elle, et en me disant qu’il ne fallait pas le dire trop fort. Pourtant, un jour elle l’avait dit en interview, à un journaliste qui faisait son portrait à Cannes. Elle y était allée pour tenter sa chance de faire à nouveau son métier de comédienne, abandonné presque 20 ans plus tôt. Elle avait dit au journaliste : « J’ai échappé aux fours crématoires, les Allemands se sont arrêtés juste à la maison à côté de chez nous. Le reste, ce n’est que la joie de vivre. » Sauf que non, ce n’est pas si simple. Et ce n’est pas de joie dont j’ai hérité. (...)

Ma grand-tante me disait aussi, un peu en chuchotant, que les arabes voulaient nous tuer. Qu’il fallait se méfier. Elle ne connaissait rien à la politique, s’en foutait mais ça, elle l’avait retenu. Je ne supportais pas quand elle me sortait ses conneries sur les arabes mais avec elle fallait prendre tout le package ou rien. (...)

pour la cinq-centième fois je me suis demandé « qu’est-ce que j’ai à voir, moi, avec l’identité juive ? »

Rien.

Or ce soir je voudrais avoir ce chandelier chez moi, je voudrais avoir mon chandelier et le serrer contre moi pour pleurer ; pleurer sur ma judéité perdue, que les nazis ont arrachée à mon histoire familiale. Pleurer ces hommes, ces femmes, ces vieillards, tous ces enfants de Palestine que je ne connais pas et dont les vies sont dévastées depuis plus d’un demi-siècle, anéanties maintenant sous une puissance explosive exorbitante, qui a pu être estimée équivalente voire supérieure à la bombe atomique d’Hiroshima [2]. Pleurer le sociocide ou l’ethnocide en cours depuis des décennies, et la forme génocidaire qu’il est en train de prendre aujourd’hui [3]. Avec le consentement de tous – ou presque.

Les images de terreur absolue auxquelles nous accédons - malgré le blackout sur Gaza et les meurtres des journalistes [4] – peuvent nous faire basculer dans la folie [5], ou nous faire devenir « inhumains », consciencieusement.

Comment rester humain ? Comment le devenir ?

Il ne s’agit pas de savoir si les massacres en Palestine sont perpétrés par des Juif.ves mais de savoir que des Juif.ves, idéologiquement enrôlé.es dans le fanatisme sioniste, sont devenu.es des colons violents, à l’image de leur armée, promoteur.trices forcené.es de l’apartheid et du racisme, jusqu’à la haine la plus meurtrière. De comprendre aussi que la judéité et l’idéologie sioniste sont deux catégories qui ne se recoupent pas. (...)

Aucune culture ni aucune religion n’est plus inhumaine qu’une autre, mais il y a des organisations humaines qui deviennent collectivement « barbares »... Ce terme pourtant est impropre. Les nazis n’étaient pas des barbares – ni les violeurs des monstres, comme l’a si bien rappelé Adèle Haenel il y a peu [11] – et les génocidaires des Palestinien.nes ne le sont pas non plus, comme ne le sont pas non plus ceux des peuples de Namibie, d’Arménie, de Bosnie, de Chine, de Birmanie, d’Irak, du Cambodge, du Rwanda, du Soudan [12]. Ils sont précisément humains, parce que les humains portent en eux leur inhumanité, celle de rendre inhumain à leurs yeux l’Autre semblable en face d’eux. Et qu’on s’accorde ou non sur le terme « terrorisme » comme dénomination la plus adéquate [13] (ou qu’on parle plutôt de « crime de guerre » ou de « crime contre l’humanité », ou encore de tout cela à la fois), il y a précisément, aussi, déshumanisation de l’Autre par le Hamas. Après des décennies de refus forcenés de l’État d’Israël de négocier avec des mouvements palestiniens politiques non antisémites, après les réponses par la violence armée de toute initiative pacifiste [14] et après le financement avéré et assumé du Hamas par ce même État, voici les crimes de guerre abjects du Hamas le 7 octobre. Le Hamas « dont Moustapha Barghouti [figure de la résistance palestinienne] disait fin 2004 qu’il a “commis l’énorme faute de s’attaquer aux juifs en tant que juifs” » (...)

« La déshumanisation nécessaire à l’oppression et l’occupation d’un peuple déshumanise toujours, aussi, celui qui l’opprime (…) Si certain·es sentent que leur douleur est dépréciée, c’est parce qu’elle l’est : c’est la marque d’une spirale de dévalorisation de la vie humaine. (…) Nous découvrons que les Juif·ves, en tant qu’agents de l’apartheid, ne seront pas épargnés — même ceux d’entre nous qui ont consacré leur vie à œuvrer pour y mettre fin. » (...)

À présent, il y a des Juif.ves dans tous les États-Unis, au Canada, en Afrique du Sud, en Grande-Bretagne, en Irlande, en France, en Belgique… en Israël qui ne sont pas sionistes. Qui se déclarent non-sionistes, a-sionistes, antisionistes, post-sionistes. Ils.Elles sont peu. Mais leur nombre compte.